– par Yannick Imbert.
S’il y a bien un domaine de l’apologétique qui semble avoir largement disparu, c’est l’argument esthétique. On vous dira beauté est “dans l’œil de celui qui regarde” : il serait donc absurde de vouloir présenter une démonstration de l’existence de Dieu avec une argumentation esthétique. Pourtant, je ne suis pas convaincu que l’argument esthétique soit définitivement enterré. Son corps, me semble-t-il, bouge encore. Peut-être même revient-il à la vie… !
Bien sûr, avant de se poser la question d’une apologétique passant par « l’esthétique », il faut d’abord nous demander ce qu’est la beauté, cette notion si vague, et qui est malgré tout au cœur de toute réflexion esthétique. Je voudrais pour commencer vous emmener dans l’Ancien Testament.
Une grande diversité de mots
Sans grande surprise, la « beauté » dans l’Ancien Testament n’est pas une notion uniforme. Au contraire, elle se décline en divers tons, nuances et colorations pour créer un arc-en-ciel de sens au cœur duquel se trouve la beauté du Dieu créateur et sauveur. Parmi les termes les plus important nous trouvons :
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Une chose admirée.
Le terme tsebi désigne la qualité qui produit l’admiration. Ce terme revient de nombreuses fois à propos de peuples ou de nations, comme par exemple en 2 Samuel 1.19. Dans le contexte de la fin de 1 Samuel et du début de 2 Samuel, la gloire d’Israël, ce qui est objet d’admiration, c’est l’élite de l’armée d’Israël. Voilà pourquoi la Nouvelle Bible Segond traduit par « Ton élite, Israël… ».
Si ce terme est le plus souvent attribué à des réalités créées, il peut aussi être utilisé pour parler de Dieu, comme en Esaïe 28.5. Notons aussi que l’emploi de ce terme semble particulièrement caractéristique du langage prophétique (voir Esaïe ou Jérémie).
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Glorifier et / ou embellir.
C’est le pa’ar hébreu qui rend compte de ce sens important. Au cœur de cet usage se trouve la promesse divine de « rendre beau » son peuple comme lui-même se rend beau, ou glorieux (Es. 44.23 ; Ps 149.4).
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L’ornement, la gloire ou la splendeur.
C’est le mot tip’ara qui est utilisé pour décrire, ou indiquer, ce qui a une beauté extérieure (Ez 16.12, Es 49.3). Le mot est employé pour le Temple en 1 Chronique 22.5 ou dans Psaume 96.6. Ce mot fait aussi référence à la gloire et la splendeur visible, même pour Babylone (Es. 13.19).
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Le désir de ce qui est beau.
Hamad, « trouver son plaisir dans » et « désirer », connote ce qui est agréable à la vue :
– Dans un sens positif : par exemple le jardin (Gn 2.9) ou l’ombre de la bien-aimée (Ct 2.3).
– Dans un sens négatif : par exemple, Acan reconnaît avoir convoité les richesses de Schinear, qui lui étaient pourtant interdites (Jos 7.21).
Une traduction du 10e commandement souligne l’importance de la beauté dans son sens de désirable : « Tu ne convoiteras rien de ce qui appartient à ton prochain, ni sa maison, ni sa femme, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne. » (Exode 20.17)
Ce sens est probablement le plus commun dans l’Ancien et le Nouveau Testament (ex. en Philippiens 4.8).
La beauté n’est pas premièrement extérieure. Elle concerne tout aussi bien des qualités morales que de justes actions
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Ce qui est juste et beau.
Le terme Yapa est employé notamment dans le Cantique des Cantiques (4.1). Il décrit également Sarah (Gn 12.11), Rachel (29,17), Joseph (39.6), Abigail (1 Sam 25,3) et aussi Esther (Esther 2.7).
Ce terme ne désigne pas qu’une beauté physique, et ne se limite pas aux personnes. Il peut aussi décrire, et c’est crucial, des actes. Israël est qualifié de « beau » à cause de l’acte – plein de bonté – de Dieu envers son peuple (Ps 50.2 ; Ps 48.2-3 ; Ez 16.13 -14 ; Jér 11.16).
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Ce qui est « approprié » (par extension, ce qui est beau).
Le mot na’a caractérise « ce qui est approprié », « ce qui convient » et ceci en deux sens distincts :
– ce qui est physiquement attrayant.
– ce qui est agréable, pas tant pour les yeux, mais par rapport à une situation ou à une condition.
Concernant ce dernier sens, quelques exemples seront utiles. Par exemple, la louange convient au juste (Ps 93.5), la sainteté de Dieu est « belle » parce qu’elle « convient » à sa maison. Les pieds des évangélistes sont « beaux » (És 52.7, cité en Rm 10.15) parce que précisément cela « convient » à ceux qui proclament la bonne nouvelle de Christ. Par contraste, une « belle parole » ne « convient pas » au fou (Prov 17.7 ; voir aussi Prov 26.1).
Ces sens se retrouvent dans un autre mot est lié au précédent. C’est na’em, « être agréable / beau ». Quand une personne est « agréable », il est question de beaucoup plus qu’un caractère physique (présent dans Gn 49.15). Jonathan était « agréable » à David (2 Sam 1.26) et David était un psalmiste « agréable » (Ps 23,1). Ce terme est fréquemment utilisé dans un sens « moral », voire spirituel (Job 36.11 ; Ps 133.1 ; dans le Nouveau Testament, cf. 1 Pierre 2.12).
Par extension, le mot peut aussi caractériser Dieu lui-même : « Que la beauté du Seigneur, notre Dieu, soit sur nous » (90.17). « Nos chants de louange conviennent sa bonté » (135.3b). Enfin, le croyant peut espérer la pleine joie et des plaisirs (délices) quand Dieu est présent (Ps 16.11). Ces deux sens de la « beauté » semblent assez répandus dans la littérature de Sagesse.
C’est ainsi que les actes de Dieu envers son peuple sont « beaux » et que le peuple de Dieu, son épouse est « belle »
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L‘honneur et la gloire.
Hadar, « honorer / glorifier » (et son féminin hadara, « sainte parure » en Ps 29.2 ; 1 Chr 16.29) désigne ce qui est perçu. Le bétail de Joseph a « beauté » ou « majesté » (Dt 33.17).
Lorsque ce terme est utilisé à propos de Dieu, il désigne le caractère de sa gloire. Celle-ci est l’expression visible de sa puissance et surtout de sa sainteté (Ps 104.1), ce qui « convient » à qui est Dieu (1 Chr 16.7). On comprend ici l’image proposée par Jean Calvin, qui disait que la création entière est le théâtre de la gloire de Dieu (la gloire de ses actes). On parlerait là de la beauté et de la splendeur de Dieu.
Que dire alors ?
Trois choses me semblent ressortir de la diversité des termes parlant de la beauté dans l’Ancien Testament :
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La beauté n’est pas premièrement extérieure. Elle concerne tout aussi bien des qualités morales que de justes actions. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’exhortation de Paul aux veuves dans l’Église à se « paraître » d’œuvres bonnes (1 Tim 5.10). Pourquoi ? Parce que les actes sont beaux, d’autant plus lorsqu’ils ont comme objet le Dieu beau et glorieux lui-même.
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Les sens qui désignent une beauté physique ou extérieure supposent souvent une signification plus globale : la beauté est liée à la création, et donc à l’acte créateur.
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Enfin, ce qui me semble relier tous les sens de « beauté » dans l’Ancien Testament, c’est la notion de ce qui est « convenable » ou « agréable ». Quelque chose (une action) ou une personne (en particulier Dieu) est belle parce que cela « convient » à ce que Dieu a voulu de cette action ou de cette personne. C’est ainsi que les actes de Dieu envers son peuple sont « beaux » et que le peuple de Dieu, son épouse est « belle ».
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Yannick Imbert est professeur d’apologétique à la Faculté Jean Calvin à Aix-en-Provence.
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