Le zombie prophétique

– par Vincent M.T.

Mes amis pensent que je suis fan de zombies. Certes, c’est un sujet qui captive mes réflexions, mais en réalité, je n’ai pas d’affinité particulière pour ces créatures fictives. D’ailleurs s’il y a une « fin du monde » que j’attends avec impatience, ce n’est certainement pas la fameuse « apocalypse zombie ». Simplement, je crois que le zombie est peut-être les plus aboutis de tous les monstres, et donc un des sujets de réflexion les plus intéressants pour aborder l’Évangile. D’abord, à cause du genre de l’horreur, comme nous le verrons dans cet article, puis à cause de la fonction du monstre, comme nous le verrons dans un prochain article.

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De quoi a-t-on peur ?

J’ai déjà abordé dans un article précédent la question du plaisir que l’on peut ressentir à se plonger dans des histoires d’horreur. Ma conclusion était que l’horreur est un genre employé pour gérer des choses auxquelles on ne veut pas faire face parce qu’on les trouve menaçantes. Comme pour les jeux vidéos, il ne faut pas s’arrêter à la surface.

Que trouve-t-on menaçant ? Réponse habituelle : « Tout ce qui cherche à nous tuer ». Les histoires d’horreur seraient, dit-on, un mécanisme de survie pour nous prévenir des périls naturels : animaux sauvages, maladies, terrains dangereux, milieux inhospitaliers, etc. Notre espèce en mal de pression sélective s’imaginerait donc des prédateurs par simple réflexe génétique… ? C’est un peu court. La perspective évolutionniste est si omniprésente qu’elle conditionne jusqu’à notre façon de penser, et il nous est difficile de sortir de ce schéma simpliste. Essayons tout de même.

Commençons par remarquer que, si l’Evolution est censée fonctionner partout pareil, les histoires d’horreur sont par contre très diversement construites et renvoient à des réalités très différentes. Un rapide survol des personnages monstrueux dans les différentes sociétés humaines, depuis les légendes antiques jusqu’au cinéma moderne, montre que la culture joue un rôle primordial. En fait, on pourrait même dire que la nature, avec ce qu’elle contient, est encore aujourd’hui un objet de nos peurs justement à cause de notre culture fortement marquée par la théorie de l’Evolution.

Le monstre des villes et le monstre des champs

Prenons une approche culturelle, donc : comparons grossièrement l’Angleterre et les Etats-Unis. D’un côté, Dr Jekyll et Mr Hyde, Frankenstein, Jack l’Éventreur. De l’autre, le Bigfoot, les Dents de la mer, King Kong, les oiseaux, ou encore Candyman. Que remarque-t-on ? Dans les histoires d’horreur anglaises, les monstres habitent généralement dans les villes (même le Loup-Garou se retrouve à Londres). Au contraire, dans leurs équivalentes américaines, un monstre en ville est une intrusion, car le monstre vient du dehors, que ce soit la campagne du midwest, une cabane au fond des bois, ou des lieux plus exotiques – c’est d’ailleurs tout le paradoxe des « légendes urbaines » : elle ont lieu loin des villes. Même avec le « monstre » du Loch Ness à côté de chez eux, les Britanniques n’ont pas l’idée d’en faire un film d’horreur, et ce sont les Américains qui s’en chargent… c’est dire.

Pourquoi une telle différence ? Parce que la dimension historico-culturelle joue énormément. L’Angleterre a été traumatisée par la Révolution Industrielle et les atrocités qui en ont découlé, puis sont venus les bombardements pendant la guerre, faisant de la cité en un lieu de souffrance et de mort, où le mal est à sa place. Les Etats-Unis ont au contraire cherché à imposer leur volonté « civilisatrice » dans territoires sauvages et inhospitaliers, qui ont été le théâtre de bien des massacres, et la ville constitue donc une fortification, un sanctuaire, au milieu de ce monde hostile. Évidemment, la tendance a changé depuis les attentats de 2001 notamment, mais nous y reviendrons.

La campagne anglaise inspire le repos et des histoires de Hobbits, alors que le midwest américain est encore vu comme un lieu de banditisme, d’esclavage et d’isolation. Inversement, la grande ville américaine est un symbole d’espoir et d’abondance, mais la cité anglaise est noire de fumée, pleine d’un jeune prolétariat malade, affamé, couverts de suie et gouvernée par des hommes puissants et pervertis.

df88d4e668ac67a00ad7b37535e5c182Encore plus que le danger, qu’il est raisonnable de craindre, c’est la culpabilité culturelle qui anime ces peurs. Les Anglais se sont conscients de s’être réduits à la misère dans les villes, concentrant exploitation, désespoir et  pollution ; les seconds ont volé, esclavagé, massacré des peuples dans les lieux les plus reculés. Les deux craignent la condamnation qui pèsent sur eux, la vengeance de leurs victimes. Candyman ou les esprits en colères des cimetières Indiens manifestent les crimes colonisateurs demeurés impunis, tout comme Mr Hyde ou Frankenstein incarnent les horreurs transgressives de la technique industrielle.

Notre époque est certainement bien plus consciente de ses méfaits passés que ne l’ont été les précédentes. Nous prenons (lentement) la mesure de « l’histoire alternative », celle des victimes opprimées par nos ancêtres, et, ayant hérité de richesses injustes, nous appréhendons leur cri de justice.

Des zombies pour verdict

Il en va de même pour les zombies modernes : ils sont d’abord nés à la campagne aux USA (Night of the Living Dead) et en ville en Angleterre (28 jours plus tard)*. Pourtant, ils finissent par envahir tous les contextes, y compris les villes américaines (conséquence du le 11 septembre) comme dans The Walking Dead (2008), et la campagne anglaise (suite aux fractures idéologiques entres les villes et les campagnes) comme dans In the Flesh (2013).

Remarquons qu’en France, ils apparaissent dans les cités de banlieue (La Horde, 2010) et les villes de province en déclin (Mutants, 2009 ; Villemolle 81, 2009 ; Goal of the dead, 2014). Autrement dit, c’est l’exode rural et l’immigration qui sont ici en arrière-plan : les campagnes délaissées au profit des grandes villes, et leurs abords où se ressent le plus les décalages sociaux, voilà les lieux de souffrance culturelle français, les sujets qui suscitent en nous un sens de culpabilité.

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Les zombies se prêtent particulièrement bien aux critiques sociétales parce que c’est un type de monstre qui, contrairement au grand méchant loup, au croque-mitaine, et autres, se conjugue au pluriel. Les autres monstres sacrés de l’horreur sont aussi, à l’origine, individuels : le vampire, le loup-garou, la momie, etc. Quand bien même ils vivent en groupe, ils représentent alors un ordre social alternatif, pour le meilleur ou pour le pire. Les zombies – innombrables, impersonnels et désorganisés – ne représentent pas un ordre social, mais plutôt un débordement incontrôlé du social. C’est pour cela que la rhétorique du « nous » et du « eux », la question de l’intégration (ou du « vivre ensemble » dirait-on en France), est au centre de la plupart des récits de zombies, même entre les survivants. Dans une société fortement individualiste et qui se méfie des institutions, le recours à la communauté locale est inévitable, mais il faut réapprendre à vivre avec l’autre, et reconstruire cette micro-société.

Perspectives pratiques

Cela ne sert à rien d’attendre l’apocalypse zombie : si elle dure depuis plus de quinze ans sur nos écrans, c’est qu’elle est déjà en cours au niveau culturel. Alors, comment réagir ? Inspirons-nous de l’Histoire.

Lors de l’effondrement de l’Empire Romain, un élément majeur, si ce n’est le seul, qui a permis à l’Occident de ne pas sombrer sous les coups des invasions barbares, fut l’Eglise chrétienne. Grâce à son réseau continental, elle a maintenu l’unité de notre civilisation, si bien que les envahisseurs se sont finalement convertis au christianisme pour régner. Certes, avec plus ou moins de sincérité, et d’abus par la suite, mais aussi, parfois, pour le meilleur (hôpitaux, éducations, égalité…).

En période de forte mutation culturelle, solidité et direction sont des denrées rares, que les sectes de tous bords sont toujours prêtes à proposer (en apparence) par leurs règles sévères et leurs dogmes. Les groupes chrétiens doivent se méfier de cette tentation, néanmoins il est essentiel que la doctrine de la foi soit clairement présentée et connue de tous les membres, et que la dimension communautaire soit le fondement de toute autre action ecclésiale (évangélisation, mission, etc.). Voilà un des messages prophétiques, et biblique, que font entendre les zombies.

Pourtant, là où les zombies, « ceux du dehors », « les autres », représentent une menace sans fin pour la communauté des survivants, là où les communautés humaines virent facilement au communautarisme xénophobe, la communauté chrétienne reste ouverte. Christ offre son corps et son sang en nourriture pour faire de ses anciens ennemis de nouveaux frères et soeurs, or son oeuvre est désormais notre mission. À nous de montrer comment l’alliance de solidarité, d’amour et de service est un modèle intemporel et toujours triomphant, particulièrement en période de crise.


* Pour ce qui est des films qui ont rencontré un large succès tout du moins. Quelques autres les ont précédé sans suivre ce schéma (p.ex les films britanniques Doctor Blood’s Coffin, 1961, et Plague of the Zombies, 1966, se déroulent dans un village de Cornouailles), mais ils n’ont pas creusé un sillon culturel aussi profond.

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