– par Timothy Paul Jones
En chacun de nous se trouve le besoin d’inscrire toutes nos histoires individuelles dans un seul grand récit, qui les réunit. Depuis 2008, ce besoin se manifeste au cinéma. C’est à ce moment-là que la sortie du film Iron Man a marqué le lancement de l’Univers Cinématographique de Marvel. L’UCM, comme on l’appelle, n’est pas qu’une suite de films bien alignés en épisodes, constituant une seule trame narrative. Il comprend au contraire une grande diversité d’histoires individuelles, et, prises ensemble, ces histoires forment un grand récit – ou « méta-récit » – qui se révèle être aussi riche que l’univers lui-même.
Le merveilleux méta-récit de Marvel
Le déploiement de l’UCM est prévu en trois phases, et nous venons tout juste d’entamer la troisième. Une fois terminées, ces trois phases s’étendront sur une vingtaine de films, en l’espace de douze ans.
- UCM Phase 1 (2008-2012): Avec les six premiers films, les héros sont présentés et, dans le dernier, rassemblés pour former les Avengers.
- UCM Phase 2 (2013-2015): Avec les six films suivants, il devient évident que les situations contre lesquelles luttent les Avengers font partie d’une machination bien plus grande que ce que quiconque imaginait au départ.
- UCM Phase 3 (2016-2020): Les Avengers se séparent avant de se réunir de nouveau pour empêcher que quelqu’un utilise les Gemmes de l’Infini pour contrôler l’univers.
Cette avalanche de films entrecroisés a déjà largement fait recette, ce qui suggère que l’idée d’une multitude d’histoires qui, en se combinant, brodent un seul grand récit, fascine la plupart des gens. Un journaliste a même soutenu que « les comics sont la nouvelle Bible », évoquant des luttes entre dieux et soulevant même des questions de « canonicité ».
L’idée d’une multitude d’histoires qui, en se combinant, brodent un seul grand récit, fascine la plupart des gens.
Un désir que la nature seule ne peut expliquer
Cette fascination pour un grand récit qui rassemble tout ne devrait pas nous étonner. Après tout, les humains cherchent encore et toujours une sorte de grand récit qui assigne un sens à leur vie. « Dans ses actes et ses pratiques, tout comme dans ses fictions, l’homme est essentiellement un animal narrateur« , écrivait le philosophe Alasdair MacIntyre. Le professeur d’anglais Johnathan Gottschall se fait l’écho de cet avis : « Le pays imaginaire est le biotope de notre évolution, notre habitat propre« . Ou encore, dans les termes du sociologue Christian Smith, pour les êtres humains, « le normatif est organisé par le narratif« . Nous sommes des « homo narrans« , des créatures qui créent, et sont créées par, des récits.
Les théoriciens naturalistes considèrent que cette soif de récits est une adaptation due à l’évolution, elle permet aux humains de faire face aux défis en formulant des structures de sens qui expliquent nos vies. Cependant, la sélection naturelle à elle seule ne peut pas rendre compte des histoires que nous racontons. Voilà pourquoi, en tant que chrétiens, nous cherchons une réalité plus profonde, cachée sous la surface de cette passion humaine pour les récits.
Au fond de lui, tout humain sait que le cosmos est bien plus qu’une suite de causes et d’effets générés aléatoirement. L’univers est le théâtre de la gloire divine, et l’histoire qui s’y déroule est pleine de sens et d’objectifs. Peu importe le discours qui sont sur nos lèvres, nos cœurs savent que les petites histoires de nos vies sont entrelacées dans un récit grandiose, avec un dénouement final connu de Dieu depuis le commencement.
Vu de cette façon, peut-être que les histoires finement entremêlées des super-héros ont gagné en popularité parce qu’elles fournissent un bref aperçu de ce méta-récit surnaturel dans un monde de moins en moins emprunt de religieux.
Mieux que Marvel
Au centre du merveilleux méta-récit de Dieu, un acte singulier : en Jésus-Christ, en un lieu et à un moment précis, Dieu a personnellement pris part à l’histoire humaine et racheté l’humanité. Pourtant cet acte fondamental de rédemption n’existe pas seul. Il est précédé par la bonne création de Dieu et la chute de l’humanité dans le péché, et suivi par la plénitude du Royaume de Dieu. Bien avant que l’UCM n’organise sa trame narrative globale en trois phases, les théologiens chrétiens avaient décrit le Grand Récit de Dieu, le « GRD », en quatre phases :
- GRD Phase 1 – La Création. Dieu crée le cosmos et y place Adam et Eve en tant que gérants (Genèse, 1.26-31). En leur interdisant de manger d’un arbre, Dieu manifeste qu’il demeure souverain sur ce monde (Genèse, 2.15-16).
- GRD Phase 2 – La Chute et la Loi. L’Humanité se rebelle et refuse de se soumettre volontairement à son Seigneur et Roi. Dieu exile les premiers humains de l’Eden et révèle un plan pour racheter l’humanité grâce à la descendance d’Eve (Genèse, 3.15-24).
- GRD Phase 3 – La Rédemption. En Jésus, Roi légitime et Fils de Dieu, le Créateur brise la malédiction qui avait suivi la rébellion des humains (Galates, 3.10-14). Par sa résurrection au 3e jour, Jésus manifeste sa victoire sur la mort et le péché (1 Corinthiens, 15.20-28).
- GRD Phase 4 – La Nouvelle Création. En son temps, et selon ses desseins, Dieu amènera à sa plénitude le Royaume que Jésus Christ a inauguré par sa vie, sa mort et sa résurrection. Dieu lui-même habitera parmi son peuple et renouvellera toutes choses (Apocalypse, 21.1-5).
Cette trame narrative globale en quatre étapes (Création, Chute, Rédemption, Nouvelle Création) est l’histoire que les chrétiens se sont transmis les uns aux autres depuis que Jésus a été élevé de cette terre et a envoyé son Esprit vivre au sein de ses disciples.
Voir nos mythes à travers le prisme du Grand Récit de Dieu
Ce récit plus grandiose nous fournit un cadre pour regarder le monde autour de nous, y compris les films que nous nous précipitons d’aller voir au cinéma. Les meilleures histoires humaines ne sont, après tout, que des plagiats du grand récit de Dieu. « Chaque artiste est un cannibale, et tout poète est un voleur« , comme l’a chanté Bono, et ses paroles sont bien vraies.
Les plus beaux moments artistiques de l’humanité se révèlent toujours être des fragments et des échos dérobés à la trame narrative globale de Dieu, de brefs pétillements de lumière qui dévoilent malgré eux le récit de Dieu. Ce sont des panneaux empruntés à l’intrigue de notre Créateur, réadaptés pour susciter en nous le désir d’une histoire qui nous dépasse. J.R.R. Tolkien le formulait ainsi :
« Nous venons de Dieu… [alors] inévitablement, les mythes que nous concevons, bien qu’ils contiennent des erreurs, reflètent un bref éclat de la vraie lumière, la vérité éternelle qui est avec Dieu. Les mythes peuvent s’égarer, mais ils nous conduisent, avec plus ou moins de force, vers les rivages de nos origines. »
Le premier but des mythes humains est de nous indiquer la beauté du grand récit de Dieu. Si nous négligeons le fait que ces mythes sont censés nous renvoyer vers quelque chose de plus grand, alors, dans les termes de C.S. Lewis, ils « nous trahiront. … [Car] ils ne sont pas la finalité; ils sont comme l’odeur d’une fleur que nous n’avons pas trouvée, l’écho d’une mélodie que nous n’avons jamais entendue« .
Mais comment pouvons-nous apprendre à voir l’histoire grandiose de Dieu dans les meilleurs mythes humains ?
Une manière de procéder est d’utiliser le grand récit de Dieu comme prisme pour réfléchir aux histoires que nous voyons sur le grand écran. Voici un canevas que j’utilise régulièrement avec ma famille pour parler des films que nous regardons :
Phase 1 – La Création. Que voit-on qui reflète la beauté et la bonté de la Création divine ? Dieu n’a pas juste façonné un univers qui fonctionne, il a créé un univers plein de beauté, et les humains avec la capacité de l’apprécier et de produire de la beauté à leur tour. Où cela est-il visible dans le film ? S’agit-il d’un passé glorieux que nous avons perdu ? Si oui, à quoi ressemblait ce passé ? En quoi peut-on le rapprocher, ou le distinguer, de l’Eden ?
Phase 2 – La Chute et la Loi. Qu’est-ce qui était abusif et indigne d’être reproduit ? Qu’est-ce que les auteurs essayaient de nous dire qui était faux, ou seulement en partie vrai ? Qu’est-ce qui est brisé, et que les personnages tentent de racheter, ou de réparer ?
Phase 3 – La Rédemption. Quelle réponse est présentée à la rupture qui a produit l’intrigue ? Comment les personnages rachètent-ils ou réparent-ils ce qui est brisé ? Observe-t-on un acte volontaire de sacrifice, suivi par une résurrection ou une rédemption ?
Phase 4 – La Nouvelle Création. Quelle mode de vie nous est recommandé ? Quel est l’espoir des personnages pour l’avenir ? A quoi aspire-t-on à la fin ? Quels désirs ont été suscités en nous ?
Chaque être humain a soif de méta-récit parce que Dieu nous a créé pour cela. Les récits que nous voyons dans les meilleurs romans et films sont des indices passagers de l’histoire grandiose de Dieu. Vus à la lumière de cette histoire supérieure, ces intrigues moindres sont des outils qui nous enseignent à voir la gloire de la bonté commune de Dieu en tous temps et en tous lieux.
Article original en anglais (publié le 19 juillet 2016 sur le site www.timothypauljones.com).
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