Qu’est-ce que l’imagination ?

– par Y. Imbert

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Dans notre analyse apologétique de la culture, ainsi que dans notre activité créatrice, l’une des capacités humaines les plus significative est l’imagination. Sans celle-ci, que ferions-nous, que penserions-nous ? Comme le disait Chesterton, même la science ne peut se passer d’imagination. Même la nouveauté technologique part de l’exclamation « Et si jamais… ?! » : c’est la surprise même de l’esprit imaginatif qui découvre un chemin inexploré.

Mais qu’est-ce que l’imagination ? Grande question. De nombreux artistes et philosophes l’ont abordée, mais jamais épuisée. Il est impossible d’y répondre en quelques lignes seulement, d’autant plus que pour bien répondre il faudrait regarder à de nombreuses réponses venant du catholicisme, de l’humanisme, etc. Concentrons-nous alors sur quelques réponses données par quelques théologiens (réformés et/ou évangéliques) spécialisés dans la théorie de l’imagination.

Redécouvrir le sens de la réalité

Leland Ryken est l’un des théologiens évangéliques qui s’est le plus intéressé au lien entre la foi et l’art, et par implication, à l’importance de l’imagination. Pour Ryken, l’une des fonctions de l’imagination – surtout lorsqu’elle est utilisée dans les arts – est qu’elle accroît notre conscience et notre perception de la vie en nous faisant vivre « par procuration »1. En quelque sorte, l’imagination sert de médiation entre nous et la réalité. L’imagination serait un moyen de redécouvrir le sens du monde créé par Dieu.

Clyde Kilby, dans son article L’imagination chrétienne, fait écho à Ryken, affirmant que « seule une puissance esthétique apparentée à la créativité de Dieu a une capacité de renouvellement, peut nous donner le pouvoir de voir. L’art est un moyen de renouveler nos yeux et nos cœurs »2. Ici, Kilby fait aussi de l’imagination une sorte de notion transcendantale – semblable en nature, non en degré – à la puissance imaginative de Dieu. En raison de cette analogie, l’imagination de l’homme devient un moyen de renouveler « les yeux et le cœur ».

Avec Ryken et Kilby, Calvin Seerveld est l’un des principaux esthéticiens évangéliques contemporains. Plusieurs éléments émergent dans ses écrits sur l’imagination :

  • Premièrement, ce serait est un mode particulier d’expression de la nature humaine. La conscience humaine exige que nous soyons aussi des êtres « imaginatifs ».
  • Deuxièmement, la conscience humaine serait semblable à l’intuition. Ici, Seerveld plaide pour une dimension unique de l’imagination. Cela lui donne un mode rôle essentiel dans la manière dont nous construisons notre connaissance. En fait, Seerveld va jusqu’à dire que l’imagination sert à découvrir le vrai sens des choses3.

Cette première fonction de l’imagination est quelque chose d’assez classique dans l’analyse théologique de l’imagination. Nous verrons dans un prochain article si cette place réservée à l’imagination n’est pas exagérée.

Un pont vers Dieu

Contentons-nous pour cette fois de regarder à une deuxième fonction. Celle-ci est bien décrite par Nohan Huizenga dans son article Les arts: un pont entre les royaumes naturels et spirituels. Le titre suffirait presque à résumer le point principal démontré. Citons tout de même un passage pertinent :

« À mon avis, les arts sont un merveilleux pont entre les deux mondes dans lesquels Dieu, par son acte créateur, a placé l’homme. Les arts peuvent mener à une synthèse mystérieuse du monde des sens et du royaume spirituel. Fermement enracinés dans les media quotidiens de la vue et de l’ouïe, ils véhiculent non seulement le plaisir des sens et des émotions, mais également des perceptions intellectuelles, morales et spirituelles. »4

Dans cette fonction de l’imagination Huizenga suppose que matériel et le spirituel – Dieu et sa création – sont essentiellement séparés par un gouffre infranchissable ; ou du moins par un gouffre que l’imagination (et les arts) peuvent nous aider à franchir. Ils constitueraient en réalité un moyen privilégié de franchir ce gouffre.

De plus, Huizenga définit l’imagination d’une manière qui n’est ni purement spirituelle ni purement naturelle. L’imagination serait une capacité hybride, divine et humaine à la fois. Ceci expliquerait bien pourquoi l’imagination pourrait servir de « pont » entre le domaine matériel et spirituel, entre Dieu et la création. Ici aussi, l’imagination fonctionne comme un instrument de médiation.

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L’imagination comme image de Dieu

Un dernier exemple d’interprétation de l’imagination est le lien étroit qui a parfois été établi entre l’imagination et l’imago dei. Tout comme pour le terme « imagination », la notion d’« image de Dieu » est difficile à définir – beaucoup ont essayé. Certains font équivaloir l’image de Dieu à la raison humaine. D’autres y voient la conscience humaine. D’autres enfin disent que c’est l’intimité relationnelle que Dieu entretient avec sa création.

Pour certains artistes chrétiens, l’imagination est l’essence de l’image de Dieu dans l’homme. Cheryl Forbes, par exemple, affirme que « l’imagination est l’imago Dei en nous. Elle nous identifie comme les créatures humaines [à l’image] de Dieu. Cela nous aide à connaître Dieu, à recevoir sa grâce, à l’adorer et à voir la vie à travers ses yeux. »5 Nous voyons que là aussi, l’imagination a une fonction presque « transcendantale ». Elle nous sert à connaître Dieu directement.

Bien sûr cette vision de l’image de Dieu tend à exclure de l’imagination de nombreux aspects de la personne humaine, et les relègue à un rang « non essentiel » pour la personnalité humaine. D’autres facultés, comme la raison, la conscience (si celle-ci est une faculté humaine), etc., ne sont pas prises en considération dans cette définition de l’image de Dieu.

Conclusion

Dans toutes les définitions précédentes, l’imagination est définie non pas en tant que telle, mais par la fonction qu’elle a. Deux fonctions principales sont identifiées :

(1) L’imagination nous donne un accès direct à une connaissance renouvelée de la réalité – et parfois de Dieu.

(2) En conséquence, l’imagination est le moyen de connaissance humaine qui est privilégié.

Dans un prochain article nous verrons que ces fonctions de l’imagination, bien qu’intéressantes, demandent à être précisées par rapport à l’enseignement biblique.

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Notes :

1 Cité dans Hilary Brand, Art and Soul: Signposts for Christians in the Arts, Carlisle, Piquant, 2001, p. 121.

2 Clyde Kilby, « Christian Imagination » dans Leland Ryken, éd., The Christian Imagination: Essays on Literature and the Arts, Grand Rapids, Baker Book House, 1981, p. 45.

3 Par exemple dans Calvin Seerveld, A Christian Critique of Art and Literature, p. 80.

4 C. Nohan Huizenga, « The arts: a bridge between the natural and spiritual realms », dans The Christian Imagination: Essays on the Literature and the Arts, éd. Leland Ryken, Grand Rapids, Baker Books, 1981, pp. 72-73.

5 Cheryl Forbes, Imagination: Embracing a Theology of Wonder, Portland, Multnomah Press, 1986, p. 18.

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Yannick Imbert est professeur d’apologétique à la Faculté Jean Calvin à Aix-en-Provence.

2 comments

  1. L’imagination est décrite par Pascal comme la folle du logis. Je suis assez d’accord avec lui. L’imagination est souvent le domaine de l’irrationnel, des peurs infondées, des fantasmes insensés… Pierre demande que nous ceignons les reins de notre entendement, c’est-à-dire que nous ceinturions nos pensées avec la vérité. L’imagination est une faculté humaine donnée par Dieu. Mais comme toutes, elle n’est utile que dans la mesure où ce n’est pas le mensonge qui s’en empare. Si c’est le cas, elle est une arme destructrice terrible. J’ai connu la dépression. Je peux vous témoigner que l’imagination a été le facteur principal de ma descente dans les profondeurs de la détresse.

    Je lirai avec intérêt la suite de votre réflexion sur le sujet !

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