Rogue One et la mort sur écran

— par Y. Imbert

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J’ai mis longtemps à me décider à écrire cet article: je me demandais en effet si je n’en faisais pas trop. Peut-être que je lisais trop entre les lignes… Quand ? Parce que je pense que Rogue One banalise la mort. Malgré tous les mérites de ce film, et il y en a de nombreux, Rogue One me laisse un peu songeur. Surtout à la fin. La mort de tous les personnages, principaux, secondaires, nécessaires ou non… Ce sont ces morts qui ne sont pas nécessaires et qui me font dire que Rogue One banalise la mort.

Comprenez-moi bien, je n’ai aucun problème à laisser mourir le héro, ou même tout le monde. Que ce soit sur le papier ou à l’écran. Je ne suis pas un irréductible adepte du happy ending. Le 7e art regorge de héros qui auraient dû mourir. Le « terminator » aurait dû y rester – un jour. Harry Potter aussi pendant que j’y suis, et de nombreux autres. Mon problème n’est pas de voir mourir un héro, un personnage principal, ou même tous les personnages… Le vrai problème se manifeste quand il n’y a pas de raisons valables à cela.

Une mort héroïque ?

La première raison pour laquelle ces morts sont inutiles, et donc triviales, est qu’il n’y a aucune raison cohérente pour faire mourir tous les personnages en une seule grandiose et héroïque bataille finale. Je sais vous allez me dire : « Quand même ils meurent pour une bonne cause, ce n’est pas rien ! » Peut-être, mais avaient-ils vraiment besoin de mourir ? Rogue One ne nous dit jamais vraiment que leur mort est assurée. Si encore on nous avait prévenu que de toute façon il n’y avait pas de retour possible, je voudrais bien reconsidérer mon opinion (et encore !). Mais ici : un petit « motivational speech » de Rey et hop, un petit groupe s’en va allègrement se faire massacrer.

Être héroïque, ce n’est pas mourir pour une cause.

Ensuite, il me semble que nous avons avec Rogue One une vision pervertie de ce que le vrai « héroïsme » signifie. La faute n’en revient peut-être pas au film lui-même mais à l’atmosphère cynique de nos sociétés. Héroïque ne signifie pas mourir. J’ai entendu quelqu’un me dire que le fait que tous les personnages mourraient en fin de film était héroïque. Non. Triple non et éternellement non. Penser ainsi, c’est se laisser prendre par une erreur. C’est penser que la mort est le signe par excellence d’un engagement envers une cause. Être héroïque, ce n’est pas mourir pour une cause. Être héroïque c’est mettre toutes ses ressources, sa volonté, à se battre pour une cause qui semble désespérée. Mais le héro qui se bat héroïquement et qui, contre toute attente, survit, est tout aussi héroïque. Ce même héro qui vivrait heureux le reste de sa vie n’aurait pas été moins héroïque. Mais une fois encore, être héroïque ce n’est pas mourir. Voilà une première banalisation de la mort.

Une mort ridicule

Il y a aussi la question de la mort des personnages. Pulvérisés par l’Étoile de la Mort. Vraiment ? LÀ, j’ai un problème de scénario et de cohérence. Quelqu’un peut-il m’expliquer ce que l’Étoile de la Mort peut bien faire dans ce coin de la galaxie ? Oui je sais elle vient… En fait non, je ne sais pas. Elle arrive avec Dark Vador sans trop savoir pourquoi. Détruire l’Alliance ? Peut-être. Vous me direz que sans l’Étoile de la Mort, l’Alliance aurait récupéré les plans de l’Étoile de la Mort. Euh… mais c’est exactement ce qui se passe !

On ne se ballade pas avec l’Étoile de la Mort comme si c’était un chihuahua en laisse

Alors bon. L’Étoile de la Mort a peut-être comme but d’expliquer que ces personnages n’apparaissent plus dans le reste de la saga Star Wars, notamment dans les épisodes IV-VI. Un peu léger comme réponse. L’histoire ne suit pas les mêmes personnages, l’histoire n’a pas le même but. Il n’y a aucune raison que dans la première trilogie on ait encore besoin des personnages de Rogue One. Alors on les fait mourir. Non ! « Scénaristiquement » et humainement, c’est une banalisation de la mort. Parce qu’on a pas assez d’imagination, hop, on balaie l’existence de quantité de personnages.

Et puis franchement !

On ne se ballade pas avec l’Étoile de la Mort comme si c’était un chihuahua en laisse. Cette arme de destruction est censée être (1) secrète, (2) l’arme ultime contre l’Alliance, et (3) secrète. Or là on voit l’Empire se balader avec l’Étoile de la Mort à travers l’univers comme si de rien n’était. Et puis cette manie d’appuyer sur tous les boutons juste pour vérifier que tout marche bien… Vraiment ? Pas très cohérent tout ça ! Arrêtez d’appuyer sur tous les boutons rouge, grand moff Tarkin ! De plus que dans l’épisode IV, le même Tarkin procède à la destruction de la planète Alderaan sous les yeux incrédule de Leïa. A priori elle n’aurait pas dû être surprise. Une planète entière avait été détruite peu avant : Scarif. Cette incohérence est malheureusement due à cette Étoile de la Mort qu’on traîne à droite à gauche comme de rien n’était. J’ai peut-être oublié de vous dire une chose à propos de l’Étoile de la Mort. C’est une arme secrète. Promener l’Étoile de la Mort à travers la galaxie comme s’il s’agissait d’un vulgaire croiseur interstellaire n’est pas crédible… et fait même de ces morts finales quelque chose d’un peu incongru.

Une mort nécessaire ?

Enfin, mon principal problème avec ces sacrifices inutiles c’est que faire mourir tous les personnages n’était pas cessaire à l’histoire. Aucune de ces morts ne rend, en elles-mêmes, l’histoire de Rogue One meilleure ou plus cohérente. Remarquez, je dirai la même chose si tous les héros survivaient, et si aucun membre de l’Alliance ne perdait la vie dans l’assaut sur Scarif. L’histoire n’est pas meilleure à cause de ces morts. Elles ne servent qu’à rendre le travail scénaristique plus facile. On ne sait pas trop quoi faire des personnages de Rogue One ? C’est simple, on va tous les effacer de la galaxie. Facile ! Non. C’est une banalisation de la mort.

D’autant plus que parfois – ou même souvent – la mort est utilisée comme un instrument de manipulation émotionnelle. On crée du « drame » avec quelques morts bien placées. On envoie à la mort les personnages créés comme on enverrait au massacre une armée bien ordonnée. Pourquoi ? En est-on arrivés à penser que pour créer une tension émotionnelle ou dramatique il faut faire mourir des personnages, voire tous. Non, encore une fois, ce n’est pas le cas. C’est seulement la manifestation d’une imagination déficiente. Ou même d’un déficit artistique.

La mort comme horizon inacceptable

Cette banalisation de la mort est un défi apologétique. Je suis de plus en plus convaincu que notre société « utilise » la mort comme si elle n’était pas inacceptable, dramatique, non naturelle. L’apologétique culturelle doit se faire un devoir de manifester cette dimension tragique de notre société. Nous devons montrer que la mort, dans une perspective biblique, est à la fois non justifiable, mais qu’elle fait aussi malheureusement partie du monde déchu, séparé de Dieu. Si j’ai quelques problèmes avec la scénario de Rogue One, mon principal problème est sa vision de l’être humain. La mort de ce dernier est instrumentalisée. Justifiée. Banalisée.

 

La mort et la résurrection de Christ introduisent dans le monde une réalité qui dépasse notre ordinaire. Notre société considère la mort comme ordinaire. Elle l’enterre sous une masse de divertissements qui font de cette mort un jeu émotionnel, un outil scénaristique ou encore un drame TV. Notre société perd de vue la réalité tragique et inacceptable d’une mort qui fait pourtant partie de nous. L’œuvre de Christ vient dévoiler tout cela. Christ vient nous montrer la mort pour ce qu’elle est.

La Bible affirme ces deux pôles de notre existence présente. La mort ne fait pas partie de la création originale de Dieu. Cependant, elle fait partie de notre quotidien. Loin de justifier et banaliser la mort, la Bible nous donne une espérance au-delà de son horizon. C’est cela que nous devrions attendre d’un vrai héroïsme, même cinématographique.

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Yannick Imbert est professeur d’apologétique à la Faculté Jean Calvin à Aix-en-Provence.

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