– par Vincent M.T.
Nulle part les Écritures n’interdisent ni ne limitent l’étude de la littérature non-biblique. La Bible témoigne ainsi d’une confiance absolue de ses auteurs dans la supériorité du message qu’elle porte : elle laisse libre accès à tous les concurrents dans la grande arène des idées.
Or plusieurs érudits dans l’histoire ont observé des parallèles entre certains passages de la Bible et d’autres œuvres de la littérature Antique. Ces parallèles sont-ils volontaires ? Et si oui, que doit-on en penser ? On pourrait penser que si les écrits bibliques copient des œuvres « païennes », alors cela remet en question non seulement leur originalité, mais surtout leur origine, c’est-à-dire leur inspiration divine.
Pourtant, comme nous l’avons déjà vu et allons continuer de le voir ici, il y a plusieurs manières de faire des parallèles à d’autres écrits, et les auteurs bibliques ne cherchent pas du tout à cacher ce qu’ils font : leur but est au contraire d’attirer l’attention sur ces parallèles, afin de rentrer en dialogue, et même en dispute, avec les œuvres païennes. Loin d’être du plagiat, ce sont des références délibérées, et souvent subversives, à la culture ambiante.
Loin d’être du plagiat, ce sont des références délibérées à la culture ambiante, et souvent subversives.
Nous essaierons ici de dresser une liste des références gréco-romaines faites par l’apôtre Paul (nous verrons ses références à la littérature rabbiniques dans un autre article). Pour ce faire, nous utiliserons une méthodologie visant à repérer les références à la culture extra-biblique dans la Bible.
Chaque référence sera présentée sur le modèle suivant :
- Nom de l’auteur :
- Titre de l’oeuvre – passage biblique où se trouve la référence.
Référence (cliquer pour voir l'analyse)Références bibliques : citation dans son contexte (+ le passage précis en langue originale avec en rouge, les mots – ou racines de mots – présents dans les deux textes).
Références de l’oeuvre gréco-romaine : citation dans son contexte (+ le passage précis en langue originale avec en rouge, les mots – ou racines de mots – présents dans les deux textes).
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Analyse comparative des deux passages,
Conclusion sur les liens possibles entre les passages.
- Titre de l’oeuvre – passage biblique où se trouve la référence.
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LISTE PAR AUTEUR :
- Aristote :
- Politique en Galates 5.
Contre ces choses, il n'y a pas de loi
Galates ch. 5, v.23 : Si vous êtes conduits par l’Esprit, vous n’êtes point sous la loi. Or, les œuvres de la chair sont manifestes, ce sont l’impudicité, l’impureté, la dissolution, l’idolâtrie, la magie, les inimitiés, les querelles, les jalousies, les animosités, les disputes, les divisions, les sectes, l’envie, l’ivrognerie, les excès de table, et les choses semblables. Je vous dis d’avance, comme je l’ai déjà dit, que ceux qui commettent de telles choses n’hériteront point le royaume de Dieu. Mais le fruit de l’Esprit, c’est l’amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la bénignité, la fidélité, la douceur, la tempérance; la loi n’est pas contre ces choses (κατὰ τῶν τοιούτων οὐκ ἔστιν νόμος). Ceux qui sont à Jésus Christ ont crucifié la chair avec ses passions et ses désirs. Si nous vivons par l’Esprit, marchons aussi selon l’Esprit. »
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Politique, liv. III, ch. VIII, §1-2 : « Ce sera leur faire injure que de les réduire à l’égalité commune, quand leur mérite et leur importance politiques les mettent si complètement hors de comparaison ; de tels personnages sont, on peut dire, des dieux parmi les hommes. Nouvelle preuve que la législation ne doit nécessairement concerner que des individus égaux par leur naissance et par leurs facultés. Contre ceux-là, il n’y a pas de loi (κατὰ δὲ τῶν τοιούτων οὐκ ἔστι νόμος) ; ils sont eux-mêmes la loi. »
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Aristote distingue au sein de l’humanité des hommes « supérieurs », qui représentent l’exemple auquel il faut se conformer. Cependant, le terme « politiques » peut prêter à confusion. Aujourd’hui, on dirait plutôt « leur mérite civique et leur importance sociale », il s’agit d’hommes impliqués dans la vie de la cité.
Le philosophe présente ici une vision de l’humanité en deux catégories inégales (ceux qui montrent l’exemple, et ceux qui doivent le suivre), qui est évidemment très critiquable. Cependant, dans l’hypothèse où Paul a ce passage en tête quand il écrit, je ne suis pas certain que l’apôtre fasse ici une critique directe de cette hiérarchisation.
Si donc ce n’est pas un simple usage proverbial ou habituel, il se peut que Paul considère le disciple de Christ est le véritable modèle civique évoqué par Aristote. Il n’est certes pas « la loi », mais il n’est pas « sous la loi », et en cela, il est l’exemple même de la loi. Bien sûr, le fruit de l’Esprit, c’est-à-dire les conséquences de la foi en Christ, va bien au-delà d’une simple vertu civile, le chrétien étant exemplaire au niveau humain plutôt que simplement citoyen.
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- Politique en Galates 5.
- Aratos :
- Phénomènes en Actes 17.
Car nous sommes aussi de sa race
- Phénomènes en Actes 17.
- Auguste César :
- Devise impériale en 1 Thessaloniciens 5.3.
Paix et sûretéLa devise Pax et securitas, frappée sur la monnaie de tout l’Empire, exprimait la promesse romaine de garantir la paix et la sûreté sur ses territoires. Evidemment, pour un système qui s’est essentiellement construit par la conquête militaire, cela peut sembler ironique, d’autant qu’à Rome, on adorait côte à côte Mars, dieu de la guerre, et Pax, déesse de la paix. La machine de guerre était dirigée par l’Empereur vers les nations étrangères, parfois avant même un quelconque conflit, pour établir la paix par la force.
En 1 Thessaloniciens, l’apôtre écrit « Pour ce qui est des temps et des moments, vous n’avez pas besoin, frères, qu’on vous en écrive. Car vous savez bien vous-mêmes que le jour du Seigneur viendra comme un voleur dans la nuit. Quand les hommes diront : Paix et sûreté ! Alors une ruine soudaine les surprendra, comme les douleurs de l’enfantement surprennent la femme enceinte, et ils n’échapperont point« .
Il indique par là que l’Empire Romain sera bien incapable de garantir quelque chose qui est aux mains de Dieu seul, ni se protéger de l’établissement de son Royaume de Dieu, une déclaration très subversive pour l’époque. D’autant qu’il enchaîne en décrivant l’Evangile en termes militaires (« ayant revêtu la cuirasse de la foi et de l’amour, et ayant pour casque l’espérance du salut« ), afin de montrer que la puissance de ce Royaume n’est pas dans la soumission par la violence : la paix et la sûreté de cette Terre Promise sont fondées sur trois valeurs, la foi, l’amour et l’espérance.
Pas étonnant que Paul ait été emprisonné et exécuté par le pouvoir Romain.
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- Devise impériale en 1 Thessaloniciens 5.3.
- Epiménide :
- Légende grecque – en Actes 17.
A un Dieu inconnu - Cretica – en Actes 17.
En lui, nous avons le mouvement, la vie et l’êtreVoir dans cet article.
– en Tite 1.
Les Crétois, toujours menteurs .
- Légende grecque – en Actes 17.
- Euripide :
- Ion, en Actes 21.
Une ville non sans importance.
Actes ch. 21, v. 39 : Au moment où on allait le faire entrer dans la forteresse, Paul demanda au commandant: «M’est-il permis de te dire quelque chose?» Le commandant répondit: « Tu sais le grec ? Tu n’es donc pas cet Égyptien qui s’est révolté dernièrement et qui a emmené 4000 rebelles dans le désert ? ». Paul reprit: « Je suis juif, de Tarse en Cilicie, citoyen d’une ville non sans importance (οὐκ ἀσήμου πόλεως). Je t’en prie, permets-moi de parler au peuple ! ». Le commandant le lui permit et Paul, debout sur les marches, fit signe de la main au peuple. Un profond silence s’établit. Paul leur adressa la parole en langue hébraïque.
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Ion 8 : Atlas, qui sur ses épaules d’airain porte le ciel, antique demeure des dieux, engendra dans le sein d’une déesse, Maïa, qui me mit au monde, moi Mercure, messager de Jupiter, le plus grand des immortels. J’arrive ici, à Delphes, dans ce temple placé au centre de la terre, où Apollon dévoile aux mortels ses oracles, qui révèlent le présent et l’avenir. Il est une ville de Grèce non sans importance (ἔστιν γὰρ οὐκ ἄσημος Ἑλλήνων πόλις) à laquelle Pallas à la lance d’or [= Athéna] a donné son nom : là Phébus [= Apollon] surprit Créuse, fille d’Érechthée, et la força de céder à sa passion, au pied de la citadelle de Pallas, dans cette partie du territoire athénien que les maîtres de l’Attique appellent l’antre de Macra.
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Il ne semble pas y avoir de lien contextuel. Ion est une pièce de théâtre, qui raconte comment Créuse a été séduite par Apollon dans sa jeunesse, dans une grotte de l’Acropole d’Athènes, et a conçu de cette union avec le dieu un fils, Ion, qu’elle abandonne. Il est recueilli par Hermès, qui le dépose devant le temple de Delphes, où la Pythie le trouve et le prend en charge. Créuse se marie plus tard à Xouthos, roi d’Athènes. Elle subit une longue période de stérilité et ne conçoit ses deux autres enfants, Achaïos et Diomédé, qu’après un pèlerinage à Delphes où les parents retrouvent leur fils.
Euripide parle d’Athènes, tandis que Paul parle de Tarse. Ces villes étaient en concurrence à l’époque de Paul, mais cela n’a pas d’importance ici. Si c’est un usage proverbial, il peut viser à souligner le prestige (ici, culturel et intellectuel) d’une ville, et donc une certaine légitimité pour celui qui en vient. Il se peut également que ce soit un usage habituel.
- Les Bacchantes, en Actes 26 (mais pas en Actes 9, voir ci-dessous).
Il te serait dûr de regimber contre les aiguillons.
Voir article détaillé.
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La citation des Bacchantes apparaît-elle dans le premier récit de la conversion de Paul (Ac 9) ?
La phrase σκληρόν σοι προσ κέντρα λακτίζειν (“Il te serait dur de te rebeller contre les aiguillons”) n’apparaît en Actes 9 que dans une minorité de témoins textuels. Pour ne compter que les plus anciens, avec leur catégorisation Nestle-Aland entre parenthèse (qui s’étend sur une échelle de I, pour le plus fiable, à V, pour le moins fiable) :
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– La Vulgate (III) de Jérome de Stridon, datée fin 4e – début 5e siècle,
– La tradition copte de Moyen Egypte (III), datée du 4e-5e siècle,
– Les textes syriaques Philoxeniana (IV) et Harklensis (IV), datés du 5e siècle,
– La tradition Ethiopienne (V), datée du 6e siècle,
– Le Codex Laudianus (III), daté du 6e siècle.
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Cette clause est attestée par plusieurs Pères de l’Eglise du 4e siècle (à savoir, Jean Chrysostome, Jérome de Stridon, Auguste d’Hippone, et Ambroise de Milan, dont les écrits sont tous de 3e catégorie selon le N/A), et même Théophile d’Alexandrie (2e-3e s.). Cependant, elle est placée par certains à la fin du v.4, et par d’autres à la fin du v.5. Il semble donc qu’elle ait une position variable, marque typique d’un ajout ultérieur.
Les témoins textuels de cette leçon sont donc tardifs, peu fiables, et peu nombreux. Par contraste, la grande majorité des manuscrits du Nouveau Testament, et notamment ceux de première catégorie pour établir un texte fiable (par exemple la famille de textes Alexandrins, qui datent du début du 4e s. ap. J.-C.), omettent cette citation.
A la lumière de ces éléments, on peut raisonnablement supposer que certains théologiens de cette époque, trop éloignés de la culture d’origine de cette référence pour la comprendre, on voulu, comme Erasme en son temps, harmoniser les récits lucaniens de Paul en Actes en incluant dans le récit originel (Ac 9) les mots exclusifs que contiennent les rapports ultérieurs (ici, Ac 26). C’est pourquoi certaines éditions de la Bible comportent la citation en Ac 9, par exemple la Segond, tandis que d’autres, comme la Segond 21, l’omettent.
- Ion, en Actes 21.
- Eschyle :
- Les Euménides en Philippiens 4.
Réjouissez-vous !
Philippiens, ch. 4, v.4 : « Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur, je vous le dis encore, réjouissez-vous ! » (Χαίρετε ἐν Κυρίῳ πάντοτε· πάλιν ἐρῶ, χαίρετε).
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Les Euménides, v. 1014-1015 : « Réjouissez-vous, réjouissez-vous de nouveau, je vous le demande encore, à vous tous » (Χαίρετε, χαίρετε δ᾽ αὖθις, ἐπανδιπλάζω, πάντες) qui êtes ici, démons et mortels, habitants de la ville de Pallas [= Athènes] ! Respectez ma demeure, et vous n’accuserez jamais les hasards de la vie. »
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L’usage est probablement habituel ou proverbial. En effet, la double injonction – adressée à « tous » – de se réjouir semble être une formule typiquement associée aux bénédictions divines, par exemple dans les écrits officiels de l’empereur Maximin Daia, rapportés par Eusèbe de Césarée dans son Histoire ecclésiastique (9.7.11, « χαιρέτωσαν … ἅπαντες … χαιρέτωσαν« ).
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- Les Euménides en Philippiens 4.
- Ménandre :
- Thaïs en 1 Corinthiens.
Les mauvaises compagnies corrompent les bonnes moeurs
– 1 Co 15.33 ; fragment d’Euripide 1013 – édition de Nauck.Malgré l’état fragmentaire des vestiges du texte, qui ne nous permettent pas d’accéder au contexte immédiat, nous connaissons le contexte général de la pièce. Ménandre y reprend l’histoire d’une de ses maîtresses, Thaïs d’Athènes (4e s. av. J.C.). C’était une courtisane éduquée et respectée, qui organisait régulièrement des orgies mondaines comprenant discours, banquet et alcool. Elle accompagna notamment Alexandre le Grand dans campagne militaire en Asie. Suite à la prise de Persépolis, elle présida une orgie, au cours de laquelle elle le persuada par un de ses fameux discours de brûler le palais royal, afin de venger l’incendie du temple d’Athéna lors du sac d’Athènes par le roi Xerxes (5e s. av J.C.). Voir Plutarque, Vie d’Alexandre, 38, et Diodore de Sicile, 17.72.
Dans le contexte de 1 Co 15, Paul défend sa position sur la résurrection des morts (v.12), car s’il n’y en a pas, alors “mangeons et buvons car demain nous mourrons” (v.32). Il utilise ensuite cette expression, puis exhorte littéralement les lecteurs à “dessaouler” (ἐκνήψατε, v.34). Il se peut donc qu’il fasse référence à l’orgie où Thaïs a incité un acte extrême, événement très certainement repris dans la pièce de Ménandre.
Sans le contexte de la pièce, difficile d’être certain : on ne sait si elle comportait une référence précise que l’histoire elle-même ne contient pas, ou si cette citation provient de la scène de l’orgie en question. Par ailleurs, il s’agit peut-être d’une citation d’Euripide (voir Socrate le Scolastique, Histoire ecclésiastique, III.16), que Ménandre admirait et imitait, voire simplement d’un usage proverbial.
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- Thaïs en 1 Corinthiens.
- Pindare :
- Fragment (cité dans la Géographie de Strabon), en 2 Timothée 2.
Ecoute ce que je dis
2 Tim 2 : (…) Aucun soldat en service ne s’embarrasse des affaires de la vie courante s’il veut plaire à celui qui l’a recruté. L’athlète n’est pas couronné s’il n’a pas lutté en respectant les règles. Le cultivateur qui travaille dur doit être le premier à récolter les fruits. Comprends ce que je dis (νόει ὃ λέγω), et que le Seigneur te donne en effet de l’intelligence en toute chose. (…)
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Géographie, Livre 6, chapitre 2, section 3 : «Ecoute ce que je te dis (ξύνες ὅ τοι λέγω), grand roi, dont le nom rappelle nos pieux sacrifices, grand roi, fondateur d’Aetna».
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Selon Strabon, Pindare fait allusion ici à Hiéron, tyran de Syracuse, qui avait fait de Catane une colonie, et l’avait renommée « Aetna ». Le contexte nous éclairant peu, il semble plus probable qu’il s’agisse là encore d’un usage proverbial, ou habituel.
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- Fragment (cité dans la Géographie de Strabon), en 2 Timothée 2.
- Platon :
- Apologie de Socrate – en Phillipiens 1.
Mourir est un gain .
– en Actes 5.29 (il s’agit de « Pierre et les apôtres »).
Obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes.
Actes 5.29 : Après qu’ils les eurent amenés en présence du sanhédrin, le souverain sacrificateur les interrogea en ces termes: Ne vous avons-nous pas défendu expressément d’enseigner en ce nom-là? Et voici, vous avez rempli Jérusalem de votre enseignement, et vous voulez faire retomber sur nous le sang de cet homme ! Pierre et les apôtres répondirent : Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes (Πειθαρχεῖν δεῖ Θεῷ μᾶλλον ἢ ἀνθρώποις). Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus, que vous avez tué, en le pendant au bois. Dieu l’a élevé par sa droite comme Prince et Sauveur, pour donner à Israël la repentance et le pardon des péchés. Nous sommes témoins de ces choses, de même que le Saint Esprit, que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent. Furieux de ces paroles, ils voulaient les faire mourir.
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Apologie, 29d : […] si vous me disiez : Socrate, nous rejetons l’avis d’Anytus, et nous te renvoyons absous ; mais c’est à condition que tu cesseras de philosopher et de faire tes recherches accoutumées ; et si tu y retombes, et que tu sois découvert, tu mourras ; oui, si vous me renvoyiez à ces conditions, je vous répondrais sans balancer : Ô hommes Athéniens, je vous honore et je vous aime, mais j’obéirai plutôt au dieu qu’à vous (πείσομαι δὲ μᾶλλον τῷ θεῷ ἢ ὑμῖν) ; et tant que je respirerai et que j’aurai un peu de force, je ne cesserai de m’appliquer à la philosophie, de vous donner des avertissements et des conseils, et de tenir à tous ceux que je rencontrerai mon langage ordinaire : ô mon ami ! comment, étant Athénien, de la plus grande ville et la plus renommée pour les lumières et la puissance, ne rougis-tu pas de ne penser qu’à amasser des richesses, à acquérir du crédit et des honneurs, sans t’occuper de la vérité et de la sagesse, de ton âme et de son perfectionnement ?
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Platon utilise le verbe πείθω, qui veut dire convaincre, ou persuader, mais qui, conjugué ainsi, a le sens de « obéir » (« être persuadé », notamment par un médecin, ou un dieu). Luc, en rapportant le discours des apôtres, emploie la même racine verbale, combinée à la notion d’autorité (αρχεῖν), il s’agit donc de synonymes.
De même, si le « vous » de Platon renvoie aux « hommes » (personnes masculines) d’Athènes, tandis que les apôtres mentionnent les « hommes » au sens plus large d’humains, dans le contexte d’Actes 5, ces humains sont les personnes masculines qui font parti du Sanhédrin (tribunal religieux).
Divergence notable cependant : pour Socrate, dont les propos sont rapportés par son élève Platon, c’est « le dieu » (τῷ θεῷ), à qui il faut obéir, tandis que pour Pierre et les apôtres, c’est « Dieu » (Θεῷ). La différence peut sembler insignifiante, car l’article « le » pout nous donner l’impression qu’il n’y aurait qu’un seul « dieu » pour Socrate, alors que cela fait simplement référence au dieu précédemment évoqué, c’est « le dieu (dont il est question ici) », comme en témoigne le texte des Bacchantes, entre autres.
Il s’agit probablement d’un usage analogique, visant à rapprocher Pierre et les apôtres de Socrate, non dans les doctrines, mais dans le parcours : ce sont des « philosophes » qui battent les philosophes à leur propre jeu, et se retrouvent accusés à tort, risquant la condamnation injuste (comme Jésus).
- Apologie de Socrate – en Phillipiens 1.
- Térence :
- L’Andrienne, en 1 Timothée.
Charité bien exercée commence par soi-mêmeEn 1 Tm 5.4, Paul écrit :
“Si une veuve a des enfants ou des petits-enfants, qu’ils apprennent avant tout à exercer la piété envers leur propre famille”.
De nombreux sites sur Internet y voient une citation verbatim (ou presque) de l’Andrienne, une pièce de théâtre de l’auteur antique Romain, Publius Térence. Il est cependant impossible de trouver dans la pièce cette phrase, même partielle ou paraphrasée. Certains y lisent pourtant le proverbe anglais “Charity begins at home” – dont l’équivalent en français est : “Charité bien ordonnée commence par soi-même”.
Généralement, ceux qui prennent la peine de préciser la source la citation indiquent la même référence vague : l’Acte IV. Avec un peu de recherche, on trouve le passage qui est censé être cité, et dont voici les mots exacts :
“proximus sum egomet mihi”
– Acte IV, sc.I, v.636.
Ces mots se traduisent littéralement par “C’est moi qui suis le plus proche de moi-même”. En voici le contexte : Charinus est amoureux d’une femme promise à Pamphile, qui ne la veut pas. Il promet à Charinus de tout faire pour ne pas l’épouser. Pris dans des intrigues complexes, Pamphile pense y arriver en déclarant exactement l’inverse, sans avoir le temps de prévenir Charinus. Cela parvient aux oreilles de Charinus, qui croit alors avoir été trompé. Il éclate de colère, et peste contre l’égoïsme et la méchanceté de ceux qui se comportent comme Pamphile. Dans un monologue, il leur prête ces paroles :
« Qui es-tu ? Que m’es-tu ? Pourquoi te céderais-je ce qui est à moi ?
Hé ! C’est moi qui suis le plus proche de moi-même ».On y comprend donc plus “Chacun pour soi” (égoïsme) que “Charité bien ordonnée commence par soi-même” (bienveillance prioritaire envers soi et les siens). Cependant, il reste à commenter deux éléments qui pourraient être utilisés pour appuyer l’idée qu’il s’agit d’une allusion, à défaut d’une citation directe.
- Juste après la prétendue citation, Charinus ajoute : “Demandez leur où est la bonne foi : ils n’ont point de honte, alors qu’il faudrait en avoir ; lorsqu’il n’en faut point, c’est alors qu’ils en ont”. L’idée de “bonne foi” (fides, soit “fidélité”), aura alors peut-être poussé certains à y voir un parallèle avec les paroles de Paul, qui évoquent la piété filiale. Il s’agit pourtant encore là de deux situations très différentes.
- La pièce de Térence est en fait adaptée d’une pièce homonyme de Ménandre, un auteur grec. Térence a complété l’Andrienne grecque par des emprunts à une autre pièce du même auteur, la Périnthienne, notamment Charinus, il semblerait. On pourrait donc supposer que Paul ferait allusion à la pièce de Ménandre, vu qu’il le cite ailleurs. Cependant, les deux pièces originales sont perdues, outre quelques citations, et il est impossible de vérifier directement à la source.
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- L’Andrienne, en 1 Timothée.
- Guerre du Péloponnèse – en Ac 20.35.
Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoirEn Actes 20.33-35, Paul attribue une phrase à Jésus (supposant que c’est à lui que fasse référence le titre « Seigneur »), qui n’est pourtant présente nulle part ailleurs dans les Écritures :“Je n’ai désiré ni l’argent, ni l’or (ἀργυρίου ἢ χρυσίου), ni les habits de personne. Vous le savez vous-mêmes, les mains que voici ont pourvu à mes besoins et à ceux de mes compagnons. En tout, je vous ai montré qu’il faut travailler ainsi pour soutenir les faibles et se rappeler les paroles du Seigneur Jésus, puisqu’il a lui-même dit: Il est béni de donner plutôt que de recevoir (Μακάριόν ἐστιν μᾶλλον διδόναι ἢ λαμβάνειν).”Certes, Jean nous dit bien qu’il y a de nombreuses choses que Jésus a faites ou dites, et que toutes ne peuvent pas être contenues dans des livres. Cependant, Thucydide (5e s. av JC), dans son histoire de la guerre du Péloponnèse (II.97.4), relate :
« Les présents en or et en argent (χρυσος καί ἀργυρος) n’étaient pas inférieurs à cette somme, sans compter les étoffes brodées ou non et les autres cadeaux. Ces présents étaient faits non seulement au roi, mais aussi aux grands et aux nobles. Contrairement à ce qui se passe dans le royaume de Perse, c’est une coutume établie chez les Odryses, comme chez les autres Thraces, que les grands reçoivent plutôt qu’ils ne donnent (λαμβάνειν μᾶλλον ἢ διδόναι). Il est plus déshonorant de ne pas donner ce qu’on vous demande que de ne pas obtenir ce que vous demandez .«
On note également l’allusion aux étoffes brodées, troisième élément de la liste que dresse Thucydide, et dont on retrouve le synonyme « vêtements » à la même position dans le passage paulinien. La corrélation des termes évoqués fait penser à une forme proverbiale, à laquelle les deux écrivains feraient référence, et que Paul subvertirait ici en l’inversant. En cela, cette expression serait une déclinaison de « l’ordre de grandeur » du Royaume, particulièrement dans les béatitudes, dont la formulation est proche ici (le mot « béni » et « heureux » est le même en grec).
En résumé :
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