Rick & Morty, Bojack Horseman : l’échec de la conscience

– par Vincent M.T.

« Personne n’existe volontairement. Personne n’est vraiment chez soi nulle part. Tout le monde meurt un jour ou l’autre. Viens, on va regarder la télé. »
– Morty, de Rick & Morty

« L’univers est un vide cruel et insensible. La clef du bonheur, ce n’est pas de chercher un sens aux choses, c’est de s’adonner constamment à des occupations absurdes et sans importance, et au bout d’un moment, on meurt. »
– Mr PeanutButter, de BoJack Horseman

Voilà comment deux personnages de séries à succès des années 2010 répondent à un proche qui est en quête de sens. Désillusion, quand tu nous tiens dans tes tentacules cosmiques ! Evidemment, si vous suivez nos articles, cela ne manquera pas de vous rappeler la vision du monde présentée par Lovecraft :

« Nous vivons sur une île de placide ignorance, au sein des noirs océans de l’infini, et nous n’avons pas été destinés à de longs voyages. (…) un jour viendra où la synthèse {des connaissances scientifiques} nous ouvrira des perspectives terrifiantes sur la réalité et la place effroyable que nous y occupons : alors cette révélation nous rendra fous, à moins que nous ne fuyions cette clarté funeste pour nous réfugier dans la paix et la sécurité d’un nouvel âge de ténèbres. »

Toutefois, pour ceux qui se demanderaient comment on est passé, en termes de séries télévisées, de La petite maison dans la prairie à cet étalage de nihilisme écrasant, et surtout comment faire face à ce discours majoritaire, voici quelques éléments pour retracer le chemin culturel parcouru et à parcourir.

Le schéma narratif pour les nuls

Tout récit est centré sur le développement de ses personnages. Cela est assez criant dans les séries télévisées, dans les films d’horreur et dans les blockbusters hollywoodiens, car dans ces récits plus qu’ailleurs, les moyens sont dédiés à la forme (pour des intérêts commerciaux) plutôt qu’au fond.

On peut résumer le schéma de base en trois étapes :

  1. Situation initiale : Un personnage a un comportement ou une idée qui lui cause des problèmes, mais n’est pas prêt à changer.
  2. Elément perturbateur : Des circonstances le forcent à affronter un obstacle qui nécessite précisément de dépasser le comportement ou l’idée problématique.
  3. Résolution : le personnage s’en sort et met à profit dans sa vie personnelle ce nouveau comportement ou cette nouvelle idée.

Prenez le film 10 Cloverfield Lane :

  • La protagoniste fuit une relation amoureuse devenue « difficile ».
  • Elle a un accident de voiture et se réveille dans un bunker, ou un homme lui explique qu’il y a eu une catastrophe gigantesque et que l’air extérieur est contaminé, il ne peut pas la laisser sortir. Elle se méfie de lui mais finit par constater que l’exterieur est effectivement un endroit dangereux. Cependant il se révèle bientôt être un psychopathe, qui veut la violer. Elle tente d’abord de s’enfuir mais doit finalement l’affronter pour retrouver la liberté.
  • Lorsqu’elle sort enfin, l’air est respirable mais des créatures dangereuses rôdent. Elle entend à la radio qu’une invasion extra-terrestre est à l’origine de la catastrophe. Elle a donc le choix de rejoindre la zone sécurisée ou le front. Ayant appris, de force, à affronter une situation difficile, elle roule cette fois-ci vers le danger au lieu de s’enfuir.

De moins en moins de nuls

Dans les années 90, les séries rendaient ce schéma assez explicite, car le grand public n’y était pas encore habitué. Mais au cours des années 2000, cette pop-littérature s’est répandue avec la popularisation d’Internet et la « consommation » de séries télévisées et de film grâce au téléchargement et au streaming. Au lieu de dévorer des dizaines de livres, les jeunes générations ont dévoré des centaines d’épisodes et de long-métrages, et se sont largement familiarisés avec les codes et les schémas des récits visuels.

C’est en partie ce qui explique le succès d’une série comme Game of Thrones dès la fin des années 2000, un récit qui va à l’encontre des attentes de l’audience (tout du moins jusqu’à la cinquième saison). Ces attentes sont suscitées par ces codes et ces schémas devenus habituels selon chaque genre. Dans le monde du Trône de Fer, où le Moyen-Âge rencontre la magie, le prince en armure étincelante n’est pas un gentlemen, l’homme droit ne survit pas aux intrigues des envieux, le « choix de l’amour » ne garantit pas la victoire envers et contre tout, etc.

   

Dans les années 2010, c’est suite à la popularisation des écrans connectés (smartphone et tablettes) que se sont popularisées les séries courtes (20-30 mn), pour s’adapter aux créneaux de visionnage dont dispose le public dans la semaine : trajet dans les transports en commun ou pause-déjeuner. Cette réduction de temps nécessite d’accélérer le rythme des schémas, au risque de les rendre très évidents.

C’est alors que, au milieu de la décennie, surgissent des récits qui se mettent à systématiquement expliciter les schémas narratifs, grâce à des personnages très conscients de leur psychologie et très bavards sur le sujet.

Le psycho-narratif

En 2014 paraissent deux séries d’animation pour adulte, dont le style oscille entre le burlesque et l’humour noir : Rick & Morty d’une part, et BoJack Horseman d’autre part. Les deux sont extrêmement bien reçues, avec une note moyenne de 9 et 8,5 sur 10 respectivement, selon les sites spécialisés (Metacritic, Allociné, Sens critique, IMDb, Rotten Tomatoes, IGN).

Rick & Morty appartient au genre de la science fiction, et parodie les personnages principaux de Retour vers le futur, qui ont des mésaventures interdimensionnelles. Au bout de 3 saisons, diffusées notamment sur France 4 et Netflix, la série est devenue la préférée du site de pop-philosophie WiseCrack.

Egalement sur Netflix, dont c’est une création originale, BoJack Horseman en est à sa 4e saison, et suit les mésaventures et les crises existentielles d’une ex-star de sitcom des années 90 qui tâtonne dans le monde cruel d’Hollywood pour trouver un peu de bonheur, et se révèle souvent être son propre pire ennemi dans ce projet.

Les deux séries révolutionnent les récits typiques des années 90 et 2000 en rendant explicite dans les dialogues les schémas psychologiques que suivent personnages (et même parfois les schémas narratifs des épisodes), montrant par là qu’ils en sont pleinement conscients. Ils vont même jusqu’à faire explicitement références, dans leur trame ou en toile de fond, à des films et séries passées, comme si la série elle-même était « consciente » de ses schémas (une tendance que l’on retrouve également dans le film DeadPool).

Toute cette « conscience de soi » ne change pas leur vie

Et pourtant, toute cette « conscience de soi » ne change pas leur vie. Les personnages principaux demeurent malheureux, et continuent de faire des choix qui perpétuent leur malheur. Quand ils font des choix qui leur semblent véritablement nouveaux et salvateurs, cela les ramène vite à la même situation. Ils n’évoluent pas, ils ne deviennent pas plus matures. Rick & BoJack ont d’ailleurs le même type de personnalité : alcooliques, sarcastiques, dangereusement inconscients et donneurs de leçons.

Rick a beau être très intelligent et capable de voyager d’une dimension à l’autre, il continue de scander joyeusement « Wobba lobba dub dub« , ce qui signifie dans une langue extraterrestre « Je souffre énormément. Aidez-moi s’il vous plaît« . BoJack a beau être riche et encore relativement attrayant (pour les femmes ou les producteurs), il continue de blesser ceux qui sont proches de lui et d’éponger ses échecs dans l’alcool.

Pire encore, au-delà du niveau personnel, même au niveau sociétal il semble impossible de véritablement faire changer les choses pour le mieux. Dans BoJack Horseman, le personnage de Diane tente de contribuer à sauver des populations victimes de la guerre, ou dénoncer les hommes qui profitent de leur célébrité pour abuser des femmes, en vain.

Deux leçons

Ces séries nous affirment deux choses qui font étrangement écho au message que portait Jésus.

La première, c’est qu’on a tous eu de mauvais modèles, intégré de mauvais schémas. On peut reconnaître le mauvais en soi, et même le faire en direct à la télé comme BoJack, ce ne sont pas les autres qui nous sauveront de nous-mêmes parce qu’ils ont eux-aussi beaucoup de mauvais. Il nous faut plus qu’un bon modèle, il faudrait qu’on revienne en enfance pour être capable d’intégrer ce bon modèle, et ne jamais cesser de prendre exemple dessus.

La seconde, c’est qu’avoir conscience de nos « constructions » psychologiques ou culturelles ne suffit pas à amorcer un vrai changement. Cela est particulièrement important à comprendre à notre époque, alors que la sensibilisation à toutes les causes et tous les maux du monde bat son plein. Ce point de vue semble contredit par la récente affaire Weinstein, mais elle dure encore, et on peut s’interroger : va-t-elle véritablement changer les choses ? Il faudrait probablement un article entier consacré à ce sujet, et c’est pourquoi nous nous pencherons dessus très bientôt.

A ces deux constats, Jésus se propose comme solution : un nouveau chemin, une nouvelle vérité, une nouvelle vie. Il veut nous donner son Esprit, pour que l’on soit reconnecté à son modèle et capables de l’intégrer. Il propose de nous emmener au-delà de la culpabilité et de nos schémas répétitifs, pour nous réconcilier avec Dieu afin de l’être avec nous-mêmes, avec les autres, avec la vie.

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