– par Vincent MT
Harvey Weinstein était « Dieu » en 2012, cinq ans plus tard, c’est « un porc ». Déchéance fulgurante de l’homme qui, on l’oublie, a contribué au « rayonnement culturel » français en distribuant à l’international « Ridicule », « Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain » ou encore « The Artist ». L’écho de l’affaire se répand, occasionnant d’autres terribles révélations dans son sillage : acteur de cinéma (Kevin Spacey) ou de télévision (Bill Cosby), humoriste (Louis C.K.), réalisateur (Bryan Singer), ou encore fondateur de chaîne de télé (Roger Ailes)… aux USA, le monde de la culture est secoué par des scandales sexuels à tous les niveaux.
En Suède, en Allemagne, au Royaume-Uni, et même en Espagne, le micro est ouvert, on lave son linge sale en public.
Ils sont où ces Gaulois ?
Nous sommes en 2017 après Jésus-Christ. Tous les milieux culturels d’Europe sont occupés à gérer ces affaires… tous ? Non ! Car un pays peuplé d’irrépressibles goujats résiste encore et toujours. Comme le remarque Le Monde, en France le monde de la culture n’a pas eu son affaire Weinstein. Et je ne parle pas que du monde du cinéma, où les producteurs sont bien moins influents (et donc moins dangereux) que ne peuvent l’être ceux des Etats-Unis.
Juliette Binoche donne son avis (tristement informé) sur le sujet, Isabelle Adjani témoigne de son expérience dans le milieu du cinéma Français en taisant les noms, Mélanie Laurent évoque avoir été victime d’un réalisateur (français) et Marion Cotillard d’en avoir esquivé plusieurs, sans plus de détail… On lit pourtant dans la presse qu’il n’y a pas (ou peu) de Weinstein dans le milieu du cinéma français (aurait-il tant changé depuis la fin des années 90 ?) – mais qu’il y en aurait bien dans le milieu de la télévision.
D’ailleurs, Jean-Marc Morandini, au centre d’un scandale sexuel révélé par les Inrocks l’année dernière, a toujours son émission – profitant d’un système judiciaire qui semble paresseux et d’une chaîne de télé complaisante. Et ce ne serait pas le seul, à en croire l’ex-rédactrice en chef de l’émission E=M6.
Il semblerait qu’on ne touche pas à la culture, en France. Roman Polanski, réalisateur franco-polonais accusé de viol et qui a reconnu avoir eu des « rapports sexuels illégaux » à 43 ans avec une jeune fille de 13 ans, échappe toujours a la justice. Jean-Claude Brisseau, condamné en 2005 pour harcèlement sexuel, n’écope que d’un an avec sursis et 15 000 euros d’amende ; puis de nouveau en 2006, jugé pour des faits plus graves (agression sexuelle), il est condamné… à payer 5000 euros de dommages. Et en 2017, la Cinémathèque consacre des rétrospectives à la filmographie de ces réalisateurs – un honneur mal reçu, et qui soulève la question du lien entre le créateur et son oeuvre (nous y reviendrons dans un autre article).
Depuis une vingtaine d’années, d’autres domaines qui pourraient sembler plus fondamentaux dans notre vie ne sont pourtant pas épargnés :
- La religion. On ne compte plus les affaires de pédophilie, auxquelles ont est extrêmement sensibles. Par exemple, le cardinal Barbarin est épinglé en 2016 pour avoir tardé à rapporter des faits à la justice. L’Eglise Catholique, dont les membres ont longtemps couvert les agissements pour protéger l’institution, prône désormais la « tolérance zéro ». Il reste du chemin, mais la « chasse » est ouverte. Du côté musulman, Tariq Ramadan est accusé d’abus sexuels cette année. Les journaux français n’hésitent pas même à dénoncer les abus dans le Bouddhisme, comme pour le cas de Sogyal Rinpoché (finalement démis de ses fonctions après 7 ans).
- La politique. Outre l’affaire DSK en 2011, on compte Baupin en 2016, la tribune de l’UNEF dernièrement, et plusieurs autres affaires entre-temps.
Chacun son sacré
Parallèlement, beaucoup de journalistes aux Etats-Unis ne manquent pas de souligner la proximité entre l’image publique de Weinstein avant le scandale et celle de l’actuel Président. Accusé de harcèlement et d’attouchements par plus d’une dizaine de femmes en 2016 (un mois avant son élection), sans oublier bien sûr ses propos explicites, enregistrés en 2005, sur l’impunité que permet la célébrité en la matière, Donald Trump semble ne pas être inquiété. Il se permet même de commenter : « Je connais Weinstein depuis longtemps et je ne suis pas surpris du tout« .
Certes, il y a une différence de gravité entre des paroles et des attouchements très malvenus d’un côté (si ce n’est que ça), et 30 ans d’agressions sexuelles organisées de l’autre, mais les deux participent d’une même culture du viol : l’homme puissant est libre d’entreprendre, la femme est son territoire.
Il y a 20 ans, l’affaire Monica Lewinsky avait fait la une outre-Atlantique. Depuis, la liste des « scandales sexuels » du monde politique aux USA est essentiellement du même ordre : des relations consensuelles (adultère, homosexualité dissimulée, sollicitation de prostituée, etc.). On compte quelques affaires de harcèlement au niveau fédéral, ainsi que des cas où les liaisons donnent lieu à des grossesses et où les hommes tentent de forcer l’avortement, mais les accusations d’agression sexuelle sont extrêmement rares, même dans le sillage de l’affaire Weinstein.
Y aurait-il deux poids, deux mesures dans la morale « religieuse » aux USA ? Il serait facile de jeter la pierre aux hypocrites, mais ce serait oublier que, comme nous venons de le voir, nous faisons exactement la même chose de ce côté de l’Atlantique. La seule différence, c’est le domaine. Politique ou culture, il faut choisir son idole, et les tabous qui s’ensuivent.
Ave Mariane
Pourquoi la sphère culturelle est aussi « intouchable » en France que la sphère politique aux Etats-Unis ? Serait-ce parce que, dans les deux cas, il s’agit d’un l’aspect qui parait être (aux yeux de la population) un symbole encore fort de la puissance nationale ?
Autrement dit, si l’identité américaine repose sur leur puissance politique et militaire, l’identité française (dans l’imaginaire collectif) est lié à notre fameux « rayonnement culturel ». Nous nous prenons encore pour un soleil salvateur, dépositaires d’une mission messianique qui apporte la lumière culturelle aux autres peuples. Certes notre culture est belle, mais elle est aussi pleine de vices et de corruption… L’exception culturelle française est aussi une exception de justice et de morale.
Vous avez votre « Dieu », il s’appelle Weinstein.
Entendez bien ceci : si vous croyez que sans la culture, sans votre culture, vous perdez votre identité, c’est de l’idolâtrie. Et si vous croyez que la culture française est supérieure à d’autres cultures, c’est de l’idolâtrie. Vous avez votre « Dieu », il s’appelle Weinstein.
Accessoirement, c’est aussi un terrain fertile pour le racisme et le sexisme. La croyance que la culture française serait supérieure ou essentielle est non seulement mauvaise, mais elle est fausse, parce que la culture française comprend cette culture du viol : sinon, comment expliquer son bastion dans le monde de l’art, l’audio-visuel et le spectacle ? On dénonce le viol ailleurs, et on se leurre à croire qu’on agit réellement contre, mais tant qu’on fait des exceptions de cette taille, c’est qu’on l’accepte encore.
Notre culture française comprend aussi cette culture du racisme : simplement, on appelle ça « problème d’intégration » – sans savoir à qui la faute incombe ou qui doit faire quoi. Et on continue, après 50 ans, à attendre des immigrants qu’ils abandonnent leur culture, leur vision du monde, pour adopter la nôtre, mais sans chercher à les comprendre, ni vraiment à les aider. Je ne nie pas qu’il y ait de nombreux programmes et initiatives louables, mais les mentalités ne semblent pas beaucoup bouger.
On continue à ne pas gérer le choc des cultures… ou plutôt des religions.
Car en reléguant la foi au domaine de l’intime, de l’irrationnel, la culture française a empêché tout débat, et même toute réflexion sur ce qui déterminait profondément les visions du monde et la culture. Elle a empêché tout échange, toute remise en question, tout progrès. Elle s’impose aux autres avec violence, comme Weinstein.
Profaner la culture
Nul besoin de répéter qu’un chrétien ne peut pas accepter cela – non seulement parce que c’est une idolâtrie, mais parce que cela porte atteinte aux femmes, créées à l’image de Dieu. Dans une culture qui amoindrit les femmes, leur dignité, leur liberté, ceux qui prétendent croire en Christ doivent aller à contre-courant. Il faut rendre profane une culture qui n’a aucune raison d’être sacrée, surtout quand elle garantit l’impunité face aux abus sexuels.
Il ne suffit pas de condamner Weinstein sur Facebook, il faut débusquer les monstres, et les monstruosités, jusque chez nous. Même s’il s’agit de notre culture.