Les trans et le genre : quelle place dans l’Eglise ?

– par Vincent M.T.

Ce sujet est délicat. Merci de lire l’article en entier et attentivement avant d’y réagir, surtout publiquement. Merci de le faire comme je tente moi-même d’écrire ces lignes : avec une volonté sincère de bienveillance, plutôt que pour asséner des arguments ou des doctrines, ou pour inciter à la haine envers un quelconque groupe. De plus, les opinions exprimées dans cet article n’engagent que moi, et peuvent changer – prenez cela comme le début d’une discussion plus que comme un manifeste.

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Dans « transgenre », il y a « genre ».  Or, les chrétiens ont souvent du mal avec certains discours sur le genre, principalement quand ces discours remettent en cause une notion fondamentale de leur foi.

Par exemple, une conviction souvent qualifiée de « binaire » : que Dieu a créé l’humanité selon une polarité masculin / féminin afin de refléter sa propre nature (un Dieu en trois personnes, ce qu’on appelle la « Trinité »). Étant donné que les aspects essentiels de la théologie chrétienne procèdent de la nature de Dieu, et particulièrement du concept de Trinité, attaquer cette notion revient à remettre en question tout le Christianisme. On peut donc comprendre qu’il y ait un certain malaise.

Cependant je crois que ce malaise est aussi en partie dû à l’ignorance, car qui dit transgenre ne dit pas forcément rejet du « binaire ».

Voici plusieurs choses que j’ai récemment apprises sur les transgenres, et qui peuvent contribuer à clarifier et apaiser le regard que l’on porte sur les transgenres en tant que chrétiens :

Le T dans LGBT

On a tendance à les confondre, mais le T n’est pas nécessairement à sa place dans LGBT. Les groupes gay & lesbiens ont intégré les transgenres en tant que minorité persécutée parce qu’ils ont identifié la cause de cette persécution dans les normes sociétales sur le masculin et le féminin. Toutefois il y a une grande différence entre les LGB – caractérisés par leur attirance sexuelle – et les T, caractérisés par leur identification de genre. Lorsqu’un groupe qui se revendique « LGBT » avance un discours sur le genre, cela ne reflète pas nécessairement l’avis ou le vécu des transgenres.

Transgenres : travestis, transsexuels, trans-activistes ?

Les transgenres ne sont pas des travestis : ce ne sont pas des hommes qui veulent s’habiller comme des femmes ou inversement. Le percevoir ainsi, c’est ignorer (volontairement ou non) le vécu des personnes transgenre. D’ailleurs, certains ne souhaitent pas forcément adopter des signes de masculinité ou de féminité particuliers (comme l’habillement), mais le font uniquement pour ne pas choquer leur entourage et la société lorsqu’ils ou elles se présentent comme « monsieur » ou « madame ».

Les transgenres ne sont pas nécessairement des transsexuels. Les procédures chirurgicales et les traitements hormonaux disponibles pour modifier son apparence ne sont pas anodines, ni facilement abordables. D’autant que, encore une fois, certains n’y ont recours que dans le but de correspondre à l’idée que la société se fait d’un homme ou d’une femme.

Et surtout, les transgenres ne sont pas tous partisans d’un discours radical sur le genre. Il n’y a pas de discours unifié sur le genre, parce qu’il n’y a pas de vécu unifié de la fameuse « dysphorie de genre ». On entend beaucoup parler des cas et des discours extrêmes, mais regardons comment nous chrétiens sommes représentés dans les media : nous savons que ça n’est pas une image représentative de la majorité.

Ainsi, les transgenres ne remettent pas forcément en question la polarisation masculin / féminin de l’humanité, et c’est de ceux-là que je souhaite vous parler. Ils demandent surtout deux choses :

  • D’abord, qu’on reconnaisse que les marqueurs de genre sont distribués sur plusieurs niveaux corporels (génétique, physique et cérébral notamment), et que dans de rares cas, ils ne sont pas tous alignés – d’où l’expression de « dysphorie de genre » ;
  • Ensuite, qu’on les autorise dans la mesure du possible à tenter de réaligner ces marqueurs afin de vivre l’harmonie que nous autres connaissons tous depuis la naissance. Cela implique généralement de longues procédures médicales dont les transgenres se passeraient volontiers par ailleurs.

Certains, il est vrai, vont plus loin, et remettent en cause la notion même de genre. Mais comprenons pourquoi : la société et le langage reflètent la situation majoritaire, ce qui génère de fait un malaise pour ceux qui ne s’y retrouvent pas. Alors s’ils veulent s’y retrouver, soit ils se changent eux-mêmes, soit ils forgent un espace qui leur ressemble dans la société et le langage. On voit que les deux chemins sont empruntés.

On pourrait, en termes de ressenti, comparer la situation aux gauchers minoritaires qui vivent dans un monde dominé par les droitiers, et qui ont construit la société dans ce sens. Ou plus encore, des gens qui, comme moi, sont entre deux : droitiers pour l’escrime ou le judo, et gauchers pour écrire ou se brosser les dents, sans être pleinement l’un, ni pleinement l’autre, ni pleinement ambidextre. Pour ma part, je ne « décide » pas selon les situations, j’essaie de suivre ce qui me vient le plus spontanément, et ce n’est pas toujours clair.

Évidemment, il n’y a pas les mêmes enjeux. Imaginez cependant l’absurdité de forcer les enfants à choisir un seul côté – on l’a d’ailleurs fait pour les générations précédentes : ma mère était une gauchère « contrariée », sous prétexte que la main gauche c’est la « main du diable ». Nous chrétiens voyons cela comme le résultat d’une superstition, mais nombreux sont ceux qui l’associent simplement à la religion. Ne faisons pas la même erreur sur la question du genre, et renseignons-nous avant de juger.

C’est dans la tête ?

La question fondamentale ici, c’est de savoir pourquoi environ 1% de la population affirme s’identifier autrement que ce que leur aspect physique laisse supposer. C’est même la seule question qui devrait nous occuper, car c’est de là que découle tout le reste.

Or le fait est qu’on ne sait pas.

Les chrétiens et autres opposants de la fameuse « théorie du genre » ont beau échanger sur les réseaux sociaux des anecdotes d’enfants qui prétendaient faussement être d’un autre genre pour des raisons psychologiques, ce ne sont que cela : des anecdotes. Autrement dit, des exemples et non des arguments. J’ai entendu les mêmes anecdotes concernant les homosexuels, et pourtant il y a des résultats scientifiques éprouvés qui démontrent que dans certains cas l’attirance sexuelle se joue au niveau génétique, ou biologique pendant la grossesse. C’est plus compliqué qu’on aimerait le croire, et on ne rend service à personne en réduisant tous ces cas particuliers à une généralité.

C’est plus compliqué qu’on aimerait le croire

Les neurosciences sont un domaine émergent, bien plus apte à poser des questions qu’à y répondre pour l’instant. Et particulièrement sur la question de la différence sexuelle. Nous constatons certes qu’il y a des différences entre les cerveaux d’hommes et les cerveaux de femmes – y compris pour des zones qui prennent forment très tôt dans le développement et ne bougent plus par la suite. Pour autant, nous sommes incapables de dire si et dans quelles mesure ces différences sont significatives, parce que nous ne savons pas comment fonctionne le cerveau sur des aspects précis. Et quand bien même, les moyennes établies sont rarement différentes au point qu’on puisse déterminer le sexe à partir d’une pure analyse cérébral.

Au final, cela ne sert pas à grand chose tant qu’on ne sait pas ce qui joue vraiment un rôle dans l’identification sexuée. D’ailleurs, avec seulement 1% de transgenres, on va avoir du mal à obtenir des études suffisamment larges pour être probantes.

On ne sait tout simplement pas si l’identification de genre est neurologique ou psychologique.

Et on n’est pas probablement prêt de savoir.

Transgenres et chrétiens

Alors, que faire ? Pour ma part, je choisis le principe de précaution. Après tout, l’humilité est toujours un bon chemin pour le chrétien.

En tant que chrétiens, nous croyons que l’humanité a été créée selon deux pôles, le masculin et le féminin, et nous croyons aussi que tous les aspects de l’humanité et de la nature ont été touchés par la Chute. Nous acceptons particulièrement que la distinction entre masculin et féminin a été brouillée au niveau social, et au niveau biologique également puisque nous constatons que certains enfants naissent avec des situations génitales ambiguës.

Par le passé, la société a pensé pouvoir régler ces cas marginaux par des procédures chirurgicales précoces, mais nous découvrons aujourd’hui qu’il peut y avoir des impacts à des niveaux que nous ignorions. Il se pourrait qu’il y ait des situations neurologiques ambigües sans qu’on sache encore les détecter. Contrairement au point visé par Matthew Robert dans son article sur le genre et la notion de préjudice, il ne s’agit pas là de définir la personne humaine en ignorant le corps, puisqu’on parle de marqueurs cérébraux (donc physiques) qui influenceraient l’identification de genre d’une personne.

Il me semble donc qu’il y a un discours sur le genre qui soit compatible avec le témoignage des transgenres et celui des chrétiens. Il y a une ouverture possible, et même un accueil, un accompagnement, une communion. Plus encore, il y a une alliance possible, car je crois qu’au final les chrétiens ont mieux à offrir aux transgenres que ce que peuvent offrir les groupes LGB, ou la société qui se veut bien-pensante.

Les discours radicaux sur le genre se fondent sur ces cas particulier et à la marge pour définir une norme englobante, mais cela ne donne aucune légitimité  aux transgenres qui veulent aligner leur identité ressentie et leur corps. Il y a une contradiction interne dans le discours qui d’un côté relativise totalement ce qu’est un homme ou une femme, et qui d’un autre côté insiste sur le fait que l’on peut se sentir homme ou femme. Quelle est la base de ce ressenti, et qu’est-ce que ça veut dire au final ?

Ce discours force logiquement les transgenres à nier la norme pour éviter de s’y confronter. Au contraire, le discours chrétien maintient la norme de polarité masculin / féminin tout en reconnaissant l’existence de ces cas extraordinaires, voire donner une légitimité aux tentatives de restaurer une harmonie entre les différents niveaux corporels marqués par le genre.

Cependant, puisqu’on ne sait pas actuellement intervenir de manière certaine sur les niveaux génétique ou cérébral, cela implique une intervention médicale sur le physique d’une personne. Etant donné l’enjeu que cela représente, il convient d’être encore une fois de faire preuve de précaution, et de considérer les choses au cas par cas.

J’invite donc les chrétiens à agir de trois manières :

  • Résister aux discours sur le genre qui remettent en question les fondements de la foi,
  • Se tenir au courant de l’état de la recherche en neurosciences sur les différences sexuées,
  • Rencontrer et écouter des transgenres pour connaître leur point de vue, leur vécu, et chercher à les comprendre.

Et j’ai dit « rencontrer », pas « regarder la vidéo d’un activiste sur Youtube » – ce n’est pas la même chose. Ceci dit, ne forcez pas les choses, les transgenres n’ont pas à faire votre éducation en la matière, surtout qu’ils ne le vivent pas forcément bien. A défaut, consultez des ressources sur les sites spécialisés, et sollicitez l’opinion des professionnels de l’accompagnement des personnes transgenres.

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Encore une fois, je ne me fais pas le défenseur d’une quelconque théorie du genre. Je cherche simplement à explorer les possibilités d’entente, d’accueil et de discussion sur le sujet. J’espère que, chrétiens ou non, nous pourrons avancer ensemble sur ces questions, et dans un esprit de confiance malgré les incertitudes et les enjeux. J’espère que cela nous permettra de traiter d’autres questions plus précises sur le sujet. Nous avons le droit à l’erreur, et, qu’il ságisse du dialogue entre chrétiens, avec la société ou avec des personnes transgenres, il est important d’être, de manière manifeste, bienveillant et humble sur ces questions complexes. Que Dieu nous bénisse tous, car nous en avons bien besoin.

4 comments

  1. Je suis une femme transgenre (née « dans un corps d’homme »), et je me retrouve assez dans ce que vous dites.

    Tout d’abord, je pense que seule une minorité (mais ô combien bruyante) nie la « polarité » homme / femme. En ce qui me concerne en tout cas, j’essaye seulement de comprendre et d’accepter ce qui m’arrive. En ce sens, c’est un mal de vivre comme il en existe bien d’autres sortes.
    Cela m’a changé, et pas seulement physiquement ! Tant que j’ai cherché à être l’homme que je ne parvenais pas à être, j’ai été odieuse malgré toute l’éducation religieuse que j’avais déjà reçue, parce que je désespérais. Maintenant, ce n’est plus le cas, enfin je pense… ou du moins j’espère !
    Paradoxalement pour certains, mais pas pour moi, je n’ai jamais eu autant la foi que maintenant, et je sais que je ne suis pas la seule. Seulement, plus nous retrouvons la foi, et plus on nous ferme les portes des églises. Et le désespoir menace à nouveau…
    Je ne connais pas grand chose à la théologie, mais je peux ainsi affirmer d’expérience qu’on ne peut pas aimer son prochain si l’on ne s’aime pas d’abord soi-même. En condamnant les personnes transgenres, on risque de leur ouvrir les portes de l’Enfer plutôt que celles du Paradis.

    J’ajouterai que condamner les personnes transgenres au nom du mariage chrétien revient à mélanger les choux et les carottes : cela n’a rien à voir.
    Toujours en ce qui me concerne, je me suis marié, j’ai eu trois beaux enfants (baptisés, croyants…), et toute ma petite famille me soutient dans ma démarche. Et là encore, je suis loin d’être la seule.

  2. Hello, je souhaite relever un manquement. Au niveau biologique de nos sexes (et non de l’identité de genre), nous sommes toutes et tous intersexes à la naissance. Tu trouveras plus d’infos avec la brochure sexesss faite par l’Université de Genève. La vision binaire des sexes est par conséquent faussée.

    Concernant l’identité de genre, il s’agit d’un positionnement personnel face aux constructions sociales de ce qui est attendu d’une personne aux attributs féminin ou masculin. Par exemple, un garçon (sexe biologique), ça joue au foot. Nous projetons ces attentes sur nos semblables. Ceux-ci vont alors se positionner face à cela, soit en étant en adéquation avec, soit en allant contre.

    Une fille qui aime des jeux dit plutôt « masculin », se vois coller cette étiquette. Elle s’identifiera alors peut-être comme homme. Ou alors, elle refusera cette étiquette et se considérera comme femme. Voir même, voudra être considérée pour sa personne, et donc dira qu’elle est non-genrée.

    Une personne trans étant cataloguée comme dysphorique, donc ne sont pas en adéquation avec leur corps, pensent qu’ils auraient dut être de l’autre sexes, sont concernée en partie par mon propos, mais sont un cas différent en même temps. La non-reconnaissance de son biologique obtenu à la naissance n’est pas juste un positionnement face à des constructions sociales.

    Mes sources viennent de la hautes école de travail social à Genève dans un cours donné par une sociologue de l’Université de Genève s’étant intéressé à cette question du genre, de la sexuation et des trans.

    Toutefois, ta conclusion sur le comportement à adopter face à ces personnes est très pertinente et cela devrait être de meme envers les homosexuels, bi, boulimique, etc. Envers toutes personne qui n’est pas en adéquation avec l’interpretation d’un texte biblique.

    N’oublions pas d’ailleurs de remettre en question les affirmations et interprétations des textes faites par autrui. Je terminerai par cité mon ancien pasteur qui disait « un texte sans contexte est un prétexte »

  3. Je me permets de partager! Un article que j’ai lu au moins 4 fois avec plaisir! En tant que transgenre et chrétien je me suis senti pour la première fois accueilli et non rejeté! Que Dieu vous bénisse pour ces mots!

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