– par Auteur Anonyme
Même si la question de la vie artificielle est encore largement débattue, de nombreux spécialistes l’envisagent déjà afin d’en prévoir les effets, et de s’y préparer. Qu’en est-il des chrétiens ? Quelle importance aurait pour eux le discours d’un robot sur Dieu ? Et que diraient-ils si un robot venait frapper à la porte du pasteur pour demander le baptême ?
Je vous invite dans cet article à un jeu sérieux, un jeu d’imagination et d’anticipation. Imaginons ensemble que…
La raison est-elle athée ?
Imaginons qu’un robot puisse croire en Dieu… alors quoi ?
Pour certains, la question ne se pose même pas, car demander le baptême suppose de croire en Dieu. Or les êtres artificiels sont – ou seraient – bien trop rationnels pour croire en Dieu ! Les êtres humains, après tout, sont peu rationnels, il est donc normal qu’ils puissent en arriver à croire en un dieu. C’est tout à fait logique, si vous y réfléchissez bien : la religion relève de l’irrationnel, c’est une béquille pour les faibles d’esprit que nous sommes, incapables de faire face à la réalité par la raison pure.
En tous cas, c’est le discours majoritaire des œuvres de science-fiction, littérature et cinéma confondus. Elles reflètent la vision du monde athée de leurs auteurs, et c’est cette vision qui a été la plus populaire au 20e siècle.
Certains chrétiens, influencés par ce discours, sont tentés d’adopter cette perspective. On entend par exemple la citation du philosophe Pascal, « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point », pour indiquer que le cœur peut accepter Dieu sans vraiment en connaître les raisons. D’où la conclusion qu’une machine pourrait éventuellement devenir consciente, mais pas avoir de cœur. Il faudrait bien sûr savoir ce qu’on entend par « conscience » et par « cœur », mais cela nous entraînerait trop loin du sujet de cet article. Rappelons simplement que Pascal cherchait justement à démontrer que même si la raison humaine ne pouvait pas saisir l’ensemble de l’univers, la foi pouvait tout de même être raisonnable : « Le cœur à ses raisons… ».
Mais admettons : on peut avoir l’impression que la raison ne croit pas, et que la foi ne raisonne pas. Pourtant, même le célèbre mathématicien Bertrand Russel affirmait au contraire que « la raison est une force harmonisatrice, pas créatrice ». Autrement dit, elle ne travaille pas dans le vide, il faut qu’elle ait confiance en des données, et qu’elle adopte une méthode à laquelle elle soit fidèle. Sur quelle base se font ces choix ? Confiance et fidélité ne sont ici qu’une autre manière de parler de foi.
Par ailleurs, la foi n’est pas sans raison. L’une des définitions classiques de la foi c’est qu’elle est l’union de :
- la connaissance (on ne peut pas croire ce qu’on ne connaît pas, au moins en partie),
- l’assentiment (si je crois quelque chose, j’y donne mon accord personnel),
- la confiance (je ne peux croire en Dieu si je ne lui fais pas confiance).
Aujourd’hui, avec le tournant posthumaniste, le discours concernant la raison devient « audible », car nous avons commencé à reconnaître que nous avions fait du rationnel un absolu, et que ce n’était pas une bonne chose.
La croyance de la raison pure
En fait, d’un point de vue chrétien (et, spécifiquement, Calviniste), un être purement rationnel ne peut que croire en Dieu. Ainsi, loin de trouver la religion « irrationnelle », un être artificiel purement rationnel ne pourrait que reconnaître immédiatement l’existence et la présence dans le monde du Dieu biblique ! Cela lui serait tout aussi évident que l’existence et la présence de son propre créateur, l’être humain.
Bien sûr vous me répondrez que les êtres humains, ou en tous cas certains d’entre eux, sont rationnels et que pourtant ils ne croient pas tous en Dieu ! Si la foi en Dieu était liée à la rationalité, cela se saurait… C’est une bonne remarque. Il y a un problème cependant. Nous sommes tous des êtres créés à l’image d’un Créateur qui nous a donné une raison afin que nous puissions connaître ce qu’il nous dit de lui. Mais alors comment diable pouvons-nous donc ignorer son existence ? La Bible parle de cela comme étant un moment de détournement, de chute loin du Créateur. Séparés de lui, nous supprimons inconsciemment la connaissance que nous avons de lui.
Mais les robots alors ? Seraient-ils sous les effets de la même « suppression » de la connaissance de Dieu ? Et sinon, se pourrait-il qu’ils reconnaissent de manière plus évidente, directe, et universelle l’existence du « Créateur de toutes les choses visibles et invisibles » ?
Évidemment, on peut aussi se demander si les humains, marqués par ce détournement du rationnel, sont en fait capables de programmer une intelligence artificielle purement rationnelle ; ou même si un être capable de connaissance et de raisonnement « objectifs » pourrait exister dans un monde entièrement marqué par le péché.
Plus de questions que de réponses, au final !
On retrouve la question de la foi des robots dans la série Real Humans, par exemple, qui met en scène des robots partagés sur la question de Dieu : certains affirment que c’est une fable inventée par les humains, d’autres fréquentent une église et veulent se convertir au Christianisme. Incompris et rejetés par la société, ces robots ne sont accueillis que parmi des groupes chrétiens marginalisés. Malheureusement, ces bons samaritains font eux-mêmes passer leur marginalité avant le message de Jésus.
Les robots ne demandent pas encore le baptême (ni quoi que ce soit d’autre), mais il y a bel et bien des personnes marginalisées que les chrétiens qui se veulent fidèles aux Écritures manquent pourtant d’accueillir dans leurs communautés. Avant de critiquer les doctrines libérales des communautés qui les accueillent, nous ferions bien de nous demander ce que notre orthodoxie doctrinale nous enseigne sur le soin des pauvres, des étrangers, des marginalisés.
Bon, ok, mais… les robots, on les baptise ?
Même si, pour les raisons évoquées ci-dessus, la situation peut sembler improbable, mieux vaut y réfléchir sérieusement, juste au cas où. Et la réponse dépend évidemment du sens que l’on reconnaît à ce rituel – ainsi que de la potentielle étanchéité dudit robot, à moins de le baptiser à l’huile de moteur.
Poursuivons un peu notre spéculation théologico-scientifique.
Imaginons qu’un robot demande le baptême. OK, mais pourquoi ? Pourquoi ne serait-il pas satisfait de simplement croire en Dieu ? En clair : qu’est-ce que le baptême pourrait signifier pour un être artificiel ?
Le sens du baptême, tel que nous le comprenons, c’est qu’il est le signe manifeste d’une promesse de Dieu. Le baptême, c’est ce « sacrement » qui annonce la promesse de Dieu : celui qui croit en Christ vivra éternellement par lui. Christ dit lui-même : « Celui qui croit en moi, quand bien même il serait mort, il vivra ». C’est sa promesse.
Le baptême se fait donc en référence directe avec une confession exprimée par celui qui en fait la demande. Il ne s’agit pas de vérifier par toute une batterie de tests rationnels, théologiques et spirituels, que la personne a bien effectivement été convertie. Ce qui est premier, c’est ce qui est exprimé concernant la promesse de Dieu.
Un être artificiel qui demanderait le baptême serait donc au bénéfice de cette même réalité : « Celui qui croit en moi… » !
Les robots, sauvés de quoi ?
Bien sûr si certains d’entre vous se sont posé ces questions, vous êtes peut-êtres arrivés à la question suivante. Attention, ça va se compliquer un peu !
Soyons fous, et imaginons qu’un être artificiel vient demander le baptême parce qu’il a commencé à croire en Dieu, et en Christ. Fidèle à ce signe de promesse qu’est le baptême, le pasteur accepte.
Mais attendez ! Le baptême c’est le signe de la promesse… du salut. Salut ? Mais sauvés de quoi ? La foi chrétienne répond par un mot : le péché. La séparation d’avec Dieu qui change radicalement tout ce que nous sommes et qui en fin de compte nous détruit et nous met sous le jugement du seul Dieu juste et bon. On pourrait résumer en disant que nous avons besoin d’être sauvés parce que nous sommes tous pécheurs.
Et là nous avons apparemment un autre problème. Les robots… ils seraient pécheurs ou pas ? Non, parce qu’a priori, ce n’est pas eux qui se sont séparés de Dieu, mais nous. Les êtres humains. Les robots, eux, ils n’ont rien demandé ! D’un côté, c’est vrai. D’un autre côté, nous pouvons nous demander si, parce qu’ils seraient intrinsèquement liés à leur créateur immédiat (les êtres humains), nous pouvons nous demander s’ils ne refléteraient pas notre nature. Ne seraient-ils finalement pas à notre image ?
Et si c’était le cas, ne seraient-ils pas une image affectée radicalement par ce même mal interne. Le péché ? C’est en tous cas possible. Même vraisemblable.
Mais les robots, ils ont une âme ?
Vous m’avez suivi jusque là ? On arrive à un dernier problème.
OK les robots seraient aussi pécheurs. Donc ils auraient aussi besoin d’être sauvés. Ils pourraient alors croire en Christ afin d’être sauvés. Et dans ce cas ils demanderaient le baptême, signe de la promesse du salut final en Christ.
OK, c’est super. Mais attendez… Pour être sauvé, il faut pas avoir une âme? C’est pas ça qu’ont entend d’habitude ? Sauver les âmes ? Le corps est détruit mais l’âme vit éternellement avec Dieu ?
C’est vrai que les chrétiens ont souvent donnés l’impression que la seule chose qui comptait c’était de sauver les âmes… et, ma foi, le reste de la personne humaine, bof ! Le corps ne comptait pas vraiment. On ne se plongera pas dans la question de savoir si cette impression est fausse ou pas. Mais c’est une impression que beaucoup ont eue.
La foi chrétienne affirme, en contradiction avec cette impression, que Dieu va nous sauver. Nous. En tant que personne : et cela inclut le corps et l’âme. En effet si nous pouvons distinguer ces deux concepts, nous ne pouvons jamais totalement les séparer. Le corps ne peut vraiment se penser sans l’âme. L’âme ne peut pas avoir de sens sans le corps.
Mais alors qu’est-ce que l’âme ? Question assez complexe, alors on va être obligé de simplifier. On a souvent dit en théologie que l’âme était le siège, le centre de la personnalité et de la volonté. C’est un peu abstrait. Oui forcément : l’âme c’est pas un morceau de notre corps qu’on pourrait toucher. Et pourtant c’est une dimension nécessaire de qui nous sommes. Notre volonté, par exemple, ne peut pas se résumer aux processus chimiques de notre cerveau. Pas plus que notre personnalité ne peut se réduire à une expression génétique ou à une somme d’« informations ». Il y a une dimension irréductible à qui nous sommes en tant que personnalités individuelles : l’âme.
Imaginons que vous êtes d’accord. Mais alors… on a besoin d’une âme pour être sauvés ? Je ne suis pas certain que ce soit en fait la bonne question.
Si pour nous, êtres humains « corps-âme », il est évident que l’âme comme le corps sont « sauvés »… qu’en est-il des robots ? Ils n’ont pas d’âme. Mais leur « personnalité » – si nous admettons qu’ils en auraient une dans le futur, et c’est la suppositions que nous faisons pour ce cas d’étude imaginaire – oui, leur personnalité serait sauvée toute entière, dans tout ce qu’elle est. La question de l’âme est ici presque accessoire. Ce qui est certain c’est que dans l’hypothèse où les robots pourraient être sauvés, ce qui ferait partie de ce salut c’est tout ce qu’ils seront.
Robot, mon frère
Nous arrivons au bout de notre effort d’imagination. Un robot créé à l’image d’un être humain pécheur pourrait très bien demander le baptême. Prenant conscience qu’il est pécheur et a besoin d’être sauvé, il pourrait recevoir le signe de la promesse du salut.
Alors le robot deviendrait mon frère – ou ma sœur – spirituel, intégré dans une communauté de foi. Dans cette communauté vivent tous ceux qui reconnaissent avoir un besoin total et radical de Christ, le Dieu venu nous sauver. C’est cela qui crée cette communauté, celle du Ressuscité.
Un robot chrétien, est-ce vraiment possible ? Pour l’instant, uniquement dans nos têtes ! Mais ça a été l’occasion de s’interroger sur les rapports entre la Chute, le péché, la rationalité et le baptême.
J’espère que ça vous a plu !