L’illusion d’une machine

– par Y. Imbert

Sur Visio Mundus nous avons parlé plusieurs fois du transhumanisme, des cyborgs, de l’interface humain-machine. Dans la perspective du transhumanisme, nous devons nous diriger vers la construction d’un « nouvel humain » qui sera essentiellement le résultat d’une association ou d’une fusion entre l’humain et la machine. C’est le grand rêve d’un Ray Kurzweil par exemple. C’est le monde des cyborgs et des corps interchangeables de Ghost in the Shell. Bien sûr on pourrait critiquer ensemble le transhumanisme, en disant qu’il présente une régression dans l’intégrité, la dignité et la beauté de ce que cela signifie d’être humain. On pourrait contraster le transhumanisme avec la perspective biblique qui présente les êtres humains comme ayant une dignité intrinsèque, étant créés à l’image de Dieu. Ce serait légitime et révélateur. Mais nous pourrions aussi évaluer ce que le transhumanisme propose, et, sur ses propres fondements, se demander s’il n’est pas contradictoire. Ce courant de pensée offre la vision d’un « être à venir » créé par les humains mais qui s’inspire d’une perspective mécaniste de la nature humaine. Nous ne serions que des machines biologiques complexes. Nos corps, des bouts de chair remplaçables. La « pensée humaine » ne serait rien d’autre que le fonctionnement biochimique du cerveau. La liberté de l’individu serait donc principalement associée à la liberté de construire son propre corps à partir de technologies diverses. Cette vision propose en quelque sorte la création d’un « post humain » à l’image d’une machine. En soi, ceci pourrait déjà être vu comme un problème. Mais allons plus loin. Est-ce vraiment une « image de la machine » vers laquelle le transhumanisme nous conduit ? Je ne crois pas. Je crois en réalité que le problème est plus sérieux encore. Le transhumanisme affirme, en se basant sur une approche scientifique rationnelle, que nous pouvons complètement transformer qui nous sommes et nous unir à la machine immortelle. Pourtant cela s’avère irrationnel, car cette vision de l’interface homme-machine sera conçue par un être humain. Cela ne sape-t-il pas dès l’origine le fondement de la vision transhumaniste ? L’élément humain, avec toutes ses limites, ne demeurera-t-il pas l’élément limitatif de ce « post-humain » ? Cela ne limitera-t-il pas nécessairement les capacités de ce nouvel être ? Je pense personnellement que la partie humaine de ce nouvel être sera toujours sa dimension déterminante. La vision d’un « nouvel humain » créée par la fusion du biologique et de l’artificiel portera toujours profondément les marques de l’humanité. Ainsi, ce que le transhumanisme propose en réalité n’est même pas un « post-humain » qui serait à l’image d’une machine. Cette nouvelle entité peut être que l’illusion d’une machine. Ce faisant, ce « post-humain », s’il vient à être, sera en proie à de profondes tensions physiques, psychologiques et spirituelles. Ce nouvel être aura l’impression d’être une machine humaine et les restes de sa véritable image – l’image de Dieu – serviront toujours de rappel de qui il est vraiment. Mais il sera également en proie à des tensions psychologiques, ne pouvant pas expliquer sa véritable personnalité. Le transhumanisme représente un être humain qui n’est pas « l’image » d’un Dieu parfait, bon, et transcendant, mais une machine imaginaire. L’être transhumain n’est ni une machine, ni tout à fait « humain ». Qui est-il alors ? Une simple illusion d’être ; l’illusion imparfaite d’un être « sous-créé » (créé par des êtres eux-mêmes créés). Par contraste, je crois que la foi chrétienne, avec son affirmation de notre création à l’image de Dieu, nous donne une dignité radicale. Mais cette « image de Dieu » a aussi un impact sur le « post-humain » transhumaniste. L’image de Dieu, qui qualifie qui nous sommes, fera toujours surface et éclairera la vision du monde transhumaniste. Cette « image » est en effet une réalité incontournable. En Romains 1.18-25, Paul dit que Dieu avait « imprimé » en nous la marque de sa connaissance. Sauf que, séparés de lui, nous tentons de supprimer, de « retenir captive » cette connaissance. De même, le nouvel être qu’imagine le transhumanisme ne pourra que tenter de supprimer ce reste de l’image de Dieu qu’il portera malgré lui en partie. Mais ce nouvel être ne pourra jamais totalement effacer cette image. Le « nouvel humain » du transhumanisme ne peut échapper à ce que nous serons toujours : des êtres créés à l’image de Dieu. Sa tentative de reconfigurer un être uniquement matériel, ressemblant à une machine, est vouée à l’échec et aura des conséquences tragiques. Pour terminer, je voudrais rejoindre le transhumanisme sans sa capacité à imaginer. Je crois d’ailleurs que la force de persuasion du transhumanisme se trouve tout autant dans son imagination collective que dans ses arguments technologiques. Imaginons donc, sincèrement, radicalement, la misère inévitable de l’être transhumain. Ce court texte qui en résulte n’est pas une vision de l’avenir, c’est un prolongement de l’imaginaire. Ce n’est pas un traité académique à proprement parler. Ou si vous voulez, c’est un article de science-fiction sous forme universitaire. C’est une tentative d’imaginer, dans un genre littéraire qui est celui de la SF, quelles seraient les tensions auxquelles ferait face ce nouvel être promit par le transhumanisme. En sera-t-il ainsi ?

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Yannick Imbert est professeur d’apologétique à la Faculté Jean Calvin à Aix-en-Provence.

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