– par A. Frechet
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« Se préparer à survivre à l’apocalypse », voilà le mot d’ordre des adeptes d’un mouvement récent, né au début du XXIème siècle et qui regrouperait déjà près de 3 millions d’individus en tout genre à travers le monde. On les nomme preppers, c’est-à-dire ceux qui se préparent. À quoi se préparent-ils ? La plupart, désireux de conserver leur autonomie, se préparent à un effondrement de la civilisation actuelle qui se concrétiserait par une grande crise économique, le dysfonctionnement de tout système électrique, une famine ou pénurie alimentaire, des épidémies massives ou encore de grandes catastrophes naturelles. Les preppers sont convaincus qu’il faut être capable, le jour où un terrible évènement se produira, de vivre en dehors de la société qui ne sera plus en mesure d’assurer notre sécurité ou de répondre à nos besoins primaires.
Par conséquent, les preppers ont développé un ensemble de pratiques, d’outils, de protocoles à suivre et de savoir-faire qui leur seront utile en cas de crise. Ce qui fait de cette mode un véritable mouvement culturel est que de nombreux éléments regroupent tous ces individus qui n’ont pourtant rien à voir entre eux, que se soit sur le plan religieux, politique ou géographique. Ils ont en effet tous une vision de la fin du monde, une eschatologie, identique ; ils ont tous les mêmes préoccupations au sujet de cette fin du monde ; ils sont souvent seuls mais communiquent entre eux via les réseaux sociaux ; ils ont tous des pratiques très proches.
Il est intéressant de comprendre quelle vision de monde et quelle idéologie se trouve à la base de ce mouvement. Cela nous permettra de porter un regard critique sur ce mouvement et de savoir comment l’appréhender dans une perspective chrétienne. De plus, il nous paraît important d’être prêt à interagir avec pertinence avec ceux qui seraient partisans de ce mouvement afin d’être toujours capable de défendre l’espérance des chrétiens devant quiconque nous en demanderait compte.
Les fondements du néo-survivalisme
Même si on ne fréquente pas le milieu, il est très facile de se renseigner à leurs sujet grâce, entre autres, aux nombreuses vidéos accessibles par tous sur YouTube, ainsi qu’aux nombreux reportages réalisés sur ce mouvement qui intrigue les médias. Par ces moyens-là, nous avons directement accès aux témoignages des adeptes et des pratiquants, à leurs conseils et à leurs explications. Ainsi, après quelques heures de visionnage, et quelques lectures sur leurs forums et blogs favoris, nous remarquons rapidement les phrases qui reviennent, les pratiques les plus répandues et les préoccupations les plus présentes chez les preppers.

Commençons par décrire quelques-unes des pratiques caractéristiques des preppers. Tout d’abord, une partie d’entre eux, se prépare en créant ce qu’on appelle une « base autonome durable ». Ce terme fait référence au système mis en place par les néo-survivalistes afin d’être complètement autonome en énergie, en eau et en nourriture dans un lieu donné (souvent leur propre habitation). Pour cela, ils mettent en place tout un système : panneaux solaire, récupérateurs d’eau de pluie, potager, chauffage autonome, afin d’être capable de tenir de nombreuses années en totale autonomie. Ensuite, une autre partie d’entre eux, souvent les plus citadins, se constitue un sac de survie. Constitué d’un sac à dos, soigneusement choisi et judicieusement rempli par tout un tas de gadgets, de couteaux, de trousses à pharmacies et de quoi faire du feu. Ce sac les accompagne dans tous leurs déplacements et doit toujours être à leur disposition. Lorsqu’ils auront connaissance d’une catastrophe sociétale ou naturelle, cela leur permettra de quitter immédiatement les lieux et fuir la présence humaine qui pourrait être dangereuse (en cas d’épidémie ou de pénurie alimentaire par exemple).
Pour ces preppers, c’est uniquement dans la nature qu’ils se sentiront en parfaite sécurité. Leur objectif est donc de savoir se débrouiller à plus ou moins long terme dans ce milieu qu’ils ne connaissent pour la plupart pas. Ainsi, cette préparation s’accompagne d’un retour à la nature, « aux choses simples » : se nourrir, se construire un abri et faire du feu. De ce fait, la science du bushcraft a vu le jour et est devenu une vraie passion pour beaucoup. Le bushcraft, c’est l’art de vivre dans les bois, l’art de faire du feu, de tailler des outils en bois, de construire des cabanes, de se servir d’un couteau. C’est un art, qui a des règles et une philosophie assez établie et qui séduit beaucoup ces nouveaux survivalistes qui ont soif de nature et de simplicité dans une société qui va toujours plus vite et qui nous déconnecte toujours plus de la nature.
Un élément commun à tout survivalisme est l’effondrement de la confiance : perte de confiance dans la société dans laquelle on vit, désillusion quant à la possibilité d’un État à protéger et à nourrir l’ensemble de sa population dans les temps de crises ou de difficultés. Cette perte de confiance est l’un des principaux fondements du survivalisme. Ce qui pousse les gens à se préparer à une grande crise, c’est le besoin de contrôler son propre destin et de ne pas le confier dans une société qui montre parfois ses faiblesses et avec laquelle nous se sommes pas toujours d’accord. Et nous pouvons avoir le sentiment, en écoutant les témoignages de ces survivalistes, qu’ils cherchent à se prouver à eux-mêmes qu’ils ont la capacité, dès qu’ils le veulent, d’être indépendant et autonome, sans l’aide de personne et encore moins d’un système politique, économique, militaire ou sanitaire. Nous sentons un grand besoin de liberté, et d’auto-suffisance. Encore une fois, cela est caractéristique d’une époque, celle de l’individualisme.
Le survivalisme est parfois lié à des croyances religieuses
Les montées de la pratique et de la popularité du survivalisme se produisent lors d’événements majeurs : grandes crises économiques, bug de l’an 2000, actes terroristes (celui du 11 septembre 2001 par exemple), grandes catastrophes naturelles et plus récemment, le Brexit qui réveille la peur de l’arrivée d’une période de transition difficile1.
Le survivalisme est parfois lié à des croyances religieuses. En effet, cette peur de la grande catastrophe est la plupart du temps associé à la peur de la mort. C’est sur la base d’une eschatologie protestante pessimiste sur la fin du monde, de la peur de la grande tribulation, que beaucoup voient la nécessité d’une préparation. Mais ce n’est pas dans le discours officiel des églises qu’il est question de véritable préparation physique, c’est plutôt à cause de la littérature et des films issus de cette idéologie qui ont germé dans la culture populaire et ont donné l’idée aux croyants de chercher à traverser au mieux cette apocalypse2.
Analyse apologétique à la lumière d’une vision chrétienne du monde
Le survivalisme est attirant pour beaucoup de personnes. Mais il manifeste une certaine fébrilité, une faiblesse dans les domaines suivants :
- La peur de l’autre qui pousse les preppers à rechercher la solitude dans la nature est la marque d’un profond individualisme. L’angoisse provoquée par la présence d’autres personnes potentiellement dangereuses les isole complètement. Face à cela, nous ne pouvons pas ne pas penser à la fin du film Into the wild qui inspire pourtant beaucoup de preppers. En effet, suite à la fuite de la société et des autres, le personnage principal se rend compte que le bonheur n’existe que s’il est partagé… Et c’est aussi la conviction des chrétiens : Dieu nous a créé pour que nous vivions en société et pour cultiver l’interdépendance, la complémentarité.
- La peur de la mort semble démesurée. La probabilité d’une mort de vieillesse, d’accident ou de maladie nous paraît beaucoup plus grande que celle d’une mort causée par l’apocalypse. La peur de la mort est normale mais les survivalistes ne se préoccupent pas de la chose la plus importante, leurs âmes. Jésus nous appelle à ne pas craindre ce qui tue le corps mais celui qui peut nous envoyer dans la géhenne. Face à certaines formes de survivalisme, on pense tout de suite à la parabole de Luc 12 où un homme amasse des richesses et de la nourriture pour assurer son avenir. Et la conclusion est glaçante, la vie d’un homme ne dépend pas de ses biens, notre vie peut nous être reprise à tout instant. Par conséquent, nous ne devons pas nous inquiéter de ce que nous mangerons demain, ou de quoi nous serons vêtus, car Dieu sait ce dont nous avons besoin et y pourvoira dans sa providence.
- Le choix et la préparation du matériel semble toujours être ce qui obsède le plus les preppers. Alors qu’ils sont désireux de vivre de manière plus simple, minimalistes, on constate que l’obsession lié au matériel, aussi basique soit-il (il n’est pas question de villa ou de belles voitures mais de couteaux et de sacs), est extrêmement présente. Nous sommes donc face à une forme de matérialisme qui ne dit pas son nom mais qui est bel et bien présent.
Le mouvement preppers revêt cependant de belles valeurs et de bons côtés :
- Une confiance relative dans la société qui nous entoure. On sent le besoin d’une prise de recul face à une société très présente, des médias qui nous orientent, des politiques qui nous dirigent. Et c’est en effet une bonne chose de ne pas vouloir adhérer à tout et suivre le mouvement sans réflexion. Mais il est intéressant de voir en quoi l’évangile répond parfaitement à cette tension. Jésus nous transporte dans son royaume et nous rend citoyens du ciel (Phil 3.20). Notre allégeance revient désormais à Dieu seul, notre Seigneur. Cela ne nous soustrait pas à devoir vivre dans le monde et nous soumettre aux autorités en place.
- La volonté d’être « prêt » est contre-culturelle. La tendance générale est en effet plutôt au déni face à la mort ou à un jugement ou une fin à venir. Ce point est positif et correspond à plusieurs exhortations de la Bible à se préparer, car « ce jour » viendra comme un voleur dans la nuit (2 Pierre 3.10, parabole des 10 vierges Mat 25.1-4). En revanche, comme dit précédemment, la manière de se préparer n’est pas correcte.
- La volonté d’une bonne gestion des ressources, de ne plus vivre dans le consumérisme et de se rapprocher des choses simples et de la nature sont des choses louables. Mais vivre dans une culture extrême peut produire une réaction à l’extrême inverse. Un équilibre reste peut-être encore à trouver…

Enfin, après avoir établit le constat des beaux et mauvais aspects de ce mouvement, nous dirons deux choses : comment un chrétien doit se préparer à la fin et quelle interaction apologétique doit développer un chrétien vis-à-vis des preppers.
Nous avons une certitude, les survivalistes vont mourir, et nous allons mourir. Et il y a plus à craindre le jugement de Dieu plutôt qu’une catastrophe terrestre. Cependant, aucune préparation ne nous éloigne du jugement de Dieu si ce n’est celle de placer notre foi en la personne de Jésus-Christ. Il a subi la mort et l’angoisse qui lui été associé afin que nous n’ayons pas à la subir. Il a subi le châtiment de Dieu afin que nous y échappions. Donc c’est seulement en croyant en lui que nous trouverons la paix que recherchent tant les survivalistes.
Comment, en tant que chrétien se préparer de la bonne façon à la fin du monde ? Pas comme les preppers en tout cas. Ils passent tout leur temps et toute leur énergie à survivre plutôt que chercher à sauver des âmes. Ce sont des gens qui vivent dans la peur et pas dans la confiance en Dieu. Or, conscients des âmes qui se perdent et du jugement de Dieu qui vient, nous devrions plutôt redoubler de zèle pour tenter d’en sauver le plus grand nombre et veiller sur nos âmes afin qu’elles aussi soient sauver.
Conclusion
Prenons du néo-survivalisme cette grande conscience de la fin, laissons le reste et préparons-nous tout en préparant le plus grand nombre. Les résolutions que Jonathan Edwards, un théologien du 18ème siècle, a écrit alors qu’il n’avait qu’une vingtaine d’année peuvent servir de modèle pour nos contemporains désireux de vivre en preppers chrétiens. Ce genre de manière de penser est un véritable bouleversement qui est si contre-culturel qu’il constitue un témoignage fort en faveur de la foi chrétienne. Demeurons toujours, comme il le dit si bien : « résolu, de ne jamais perdre de temps; mais de faire fructifier chaque instant autant que je peux pour le plus grand profit. » et « résolu de ne jamais faire quelque chose que j’aurais honte de faire si je savais que j’avais moins d’une heure avant que la dernière trompette ne sonne. »3
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Notes :
1 Sonia Delesalle-Stolper, « À l’approche du brexit, la peur du pire des preppers » dans Libération le 03/07/2019
2 Page Wikipédia sur le survivalisme
3 Cf. http://leboncombat.fr/les-resolutions-de-jonathan-edwards, publié le 04/01/2016