– par V. Meyer
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Face à une évolution incoercible d’internet, des sociétés d’électroniques qui font de nos smartphones de réels concentrés de technologie et du développement exceptionnel des services multimédias à la demande, il est intéressant de constater comment survie la télévision dans cet océan du divertissement et de la technologie. Nous posons-nous parfois la question de la finalité de notre utilisation de la télévision ? Plus encore, sommes-nous conscients des conséquences que peuvent avoir sur notre comportement et nos relations le contenu que nous regardons à l’écran ?
Compte tenu de la diversité des chaînes et des programmes proposés aujourd’hui, je concentrerai mon étude sur un type d’émission diffusé dans la plage horaire nommée access prime time[1] dans le jargon télévisuel. Qui n’a jamais vu ou au moins entendu parler d’une émission comme « 4 mariages pour une lune de miel », « Bienvenue chez nous », « Chasseurs d’appart » ou encore « Les Reines du Shopping » ?
« La seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement et c’est pourtant la plus grande de nos misères. » Pascal
Force est de constater que ces émissions de télé-réalité sous forme de compétitions, où se jugent, se critiquent et se notent les participants, sont solidement installées dans la programmation de certaines chaînes de télévision majeure. Voyons ensemble plus en détail quelle est la stratégie opérée autour de ce type d’émissions et quelles conséquences elles peuvent avoir sur nos comportements, nos relations puis plus généralement sur notre vision du monde avant d’essayer de prendre un certain recul quant à notre utilisation de la télévision et d’apporter une réflexion biblique pertinente à l’égard du type d’émissions concerné.
En gardant à l’esprit que l’industrie télévisuelle vit des spots publicitaires, on pourrait penser que le coût de diffusion de ces derniers est simplement proportionnel au nombre de téléspectateurs qui les visionnent. Néanmoins, en réalité, le calcul du prix pour un spot publicitaire comprend plusieurs paramètres, dont le principal est le “PDA FRDA-50”[2] ; c’est-à-dire la Part D’Audience des Femmes Responsables Des Achats de – de 50 ans. Leur part d’audience est une donnée clef ; en tant que responsables des achats pour leurs foyers, c’est pour elles qu’on passe les publicités. Plus il y en a devant l’écran, plus la publicité est facturée chère ! Pourquoi je souligne l’importance de cette donnée ? Tout simplement parce que TF1 et M6, principaux diffuseurs d’émissions de télé-réalité-compétition, sont les leaders de la PDA FRDA-50 en access prime time (respectivement 17,3% et 16,2%, loin devant France 2 avec 10%)[3].
Ainsi, dominant cette plage-horaires dans la programmation, les émissions concernées, à savoir de télé-réalité-compétition sont très certainement celles qui génèrent le plus de bénéfices publicitaires et qui réalisent les meilleures parts d’audiences. Quel est donc la “recette” de leur succès ?
Dans la forme, il s’agit de mini feuilletons hebdomadaires, qui ne laissent pas au spectateur l’impression d’être engagé sur un trop long terme sans connaître de dénouement. Voire même, si la première émission de la semaine ne lui convient pas, il peut faire l’impasse et reprendre la semaine qui suit, bien que tout soit fait pour susciter l’impression de « nécessité de voir la suite ».
Pour prendre l’exemple de « 4 mariages pour une lune de miel » la dynamique de l’émission s’inscrit dans un changement quotidien de mariage (donc de personnes, d’univers, d’environnement, etc.), le résumé des épisodes précédents et un teaser de l’épisode du lendemain. Le tout est couronné d’un système de notation qui incite à suivre la semaine jusqu’à la fin pour savoir qui a gagné (une note reste inconnue jusqu’au vendredi, jour de résumé de la semaine et de verdict final.
Dans le fond, ces émissions proposent des programmes rassurants qui s’intéressent aux domaines de la vie quotidienne de la classe moyenne ; mariage, recherche de logement, confection de repas, mode vestimentaire, location de vacances. En somme, ça parle à tout le monde ou presque. Bien entendu, n’oublions pas de noter que tout au long des émissions, le spectateur peut se délecter des remarques, critiques acerbes et autres crêpages de chignons depuis son canapé, pouvant en même temps prendre partie pour son(ses) candidat(s) préféré(s) et participer pour lui-même à la critique.

Voilà quelques éléments qui participent aux succès de ces émissions qui rythment peut-être les soirées de bon nombre de nos proches. Mais peut-on se limiter à considérer la télévision comme un simple moyen de divertissement (ou de culture, mais ce n’est pas le but des émissions considérée dans la présente étude) ? Ou, à l’instar du journaliste Rachid Zerrouki, l’envisager comme « un phénomène de société véhiculant et diffusant des croyances normatives puissantes » ?[4] En nous plaçant plus proche de cette seconde affirmation, voyons quelles peuvent être les conséquences de telles émissions sur notre comportement et notre vision du monde.
Nombreuses sont les études qui ont été menées pour mieux comprendre quelles peuvent être les conséquences sur l’homme du contenu qu’il regarde à la télévision. Une des plus connue est celle du neuroscientifique Michel Desmurget qui a été publiée en 2011 sous forme de livre ; « TV Lobotomie »[5], un travail qui traite de plus de quarante années d’études et qui regroupent des milliers d’articles sur le sujet. Il en ressort que les près de quatre heures que le français passe en moyenne devant sa télévision tous les jours[6] ont une mauvaise influence sur la cognition, le langage, la sociabilité (particulièrement en ce qui concerne les comportements de violences et d’agressivité) ou la santé en lien avec la sédentarité[7].
Concernant de manière plus précise les émissions de télé-réalité, le psychologue Jean-Yves Flament note que des conduites très particulières y sont valorisées comme l’individualisme, la compétitivité et le renoncement à toute forme d’intimité[8] et que cela se retrouve dans le comportement des consommateurs.
Si la télévision est un vecteur de diffusion de “croyances normatives puissantes”, ses programmes ont forcément un impact préjudiciable sur la vision du monde de celles et ceux qui les regardent.
Notre cerveau finit bien par s’accommoder à des choses que nous regardons ou vivons relativement fréquemment ; par exemple, nos réponses de stress diminuent au fur et à mesure que nous sommes exposés à des images « choquantes » qui finissent simplement par ne plus nous « choquer ».
En nous concentrant donc sur le type d’émissions qui nous concerne et leurs contenus, il me semble que c’est tout particulièrement notre rapport à la critique qui peut être biaisé ; ce dernier peut finir par être banalisé par sa présence indirecte dans notre quotidien par le biais de la télévision, entraînant certainement inconsciemment un changement dans notre comportement face à la médisance.
Betsy Levy Paluck, Professeure en Psychologie spécialisée dans le domaine de l’effet des médias sur notre comportement souligne d’ailleurs le fait que « Nous essayons constamment d’apporter des réglages pour correspondre aux normes sociales qui nous entourent, souvent inconsciemment. »
« Je crains le jour où la technologie dépassera nos relations humaines. Le monde aura une génération d’idiots. » (Einstein)
Malheureusement, force est de constater que les « normes sociales » véhiculées dans ces émissions de télé-réalité comprennent une banalisation de la médisance, un rapport aux autres qui tend vers l’individualisme et la volonté d’être le(s) meilleur(s). En somme, ces programmes télévisés font ressortir ce qu’il y a de « mauvais » en nous en nourrissant, entre autres, notre orgueil, et peut se traduire par de la dureté, de la légèreté ou de la calomnie dans nos propos.
En plus d’une certaine forme de « déculturation », tant d’éléments existentialistes et relativistes que nous propose (voire nous impose) la télévision contribuent à formater notre culture postmoderne matérialiste et individualiste.
Ainsi, au-delà des données « scientifiques » et des résultats d’études, il me semble que ce sont des constats honnêtes dans nos vies ou celles de personnes qui nous entourent qui sont les preuves les plus convaincantes que, bien que cela soit souvent inconscient, la télévision transforme la manière dont nous vivons.
Pour revenir à notre première question ; est-ce qu’on se demande parfois quelle est la finalité de notre utilisation de la télévision ? En soi, en tant que « technologie », la télévision reste neutre, et ne peut pas faire de mal ou de bien en dehors de l’utilisation que l’homme en fait ; tant du côté de ceux qui créent les programmes que du côté du spectateur qui choisit ce qu’il regarde.
Un temps d’arrêt et une prise de recul peuvent nous aider à reconsidérer l’impact que peut avoir le contenu des émissions que nous choisissons de regarder. Un temps d’introspection honnête pourra nous aider à voir quels sont nos côtés sombres qui sont mis en lumière, quelles sont nos chimères qui sont nourries par un visionnage répété de telles émissions. Un temps de méditation de ce que la Bible nous dit sur la critique et l’importance de nos paroles, pourra nous aider à « rechercher ce qui contribue à entretenir la paix et à nous faire grandir mutuellement dans la foi. » (Romains 14.19).
Car oui, en tant que chrétien, étant en Christ, la méditation de la Parole de Dieu produit en nous une oeuvre transformatrice, ne nous rendant pas moins humain, mais au contraire, toujours plus à l’image de Jésus-Christ, l’image parfaite de ce que l’humain devrait être ! Et Dieu nous appelle à « ne calomnier personne, d’être pacifiques, conciliants, pleins de douceur envers tous les hommes. » (Tite 3.2). Une attitude qui n’est clairement pas encouragée dans les émissions de télé-réalité-compétition, qui au contraire, en véhiculant des « croyances normatives puissantes » opposées à cela, nous rendent finalement « moins humain ».

Dans son épître, Jacques nous met bien en garde quant à l’utilisation du petit membre qu’est notre langue qui pourtant peut être un instrument dévastateur ; « La langue est un petit membre, et elle se vante de grandes choses. Voici, comme un petit feu peut embraser une grande forêt. » (Jacques 3.3), à l’instar du livre des Proverbes qui est jalonné de maximes telles que ; « Celui qui parle à la légère blesse comme une épée […] » (Proverbes 12.18a), « une parole dure augmente la colère ». (Proverbes 15.1b).
Ne nous laissons pas être endormis par le caractère pseudo-divertissant d’émissions de télé-réalité-compétitions, restons sur nos gardes quant aux éventuelles conséquences de ces dernières sur notre comportement. Ce sont bien souvent les choses les plus faciles et les plus agréables qui participent le plus à un formatage déshumanisant de nos vies dans notre société de consommation postmoderne.
Pour conclure, nous avons sommairement vu quelle est la stratégie opérée par l’industrie télévisuelle pour nous attirer et nous garder devant notre écran de télévision pendant les premières heures de la soirée (18-20h) ; souvent par le biais d’émissions de télé-réalité-compétitions qui ont tendance à valoriser des comportements égoïstes tels que la critique, l’individualisme et la volonté d’être le(s) meilleur(s). Nous constatons qu’une exposition répétée à un tel contenu peut avoir une influence, bien qu’inconsciente, sur notre comportement et nos relations.
Néanmoins, reconnaissons qu’il est bien difficile de déterminer si c’est par leur contenu ou simplement par le temps que nous passons devant elles que ces émissions de télé-réalité-compétition influencent notre comportement. C’est certainement un peu des deux !
Que faire alors ? Simplement se concentrer pour ne pas être mal influencé ? Jeter notre téléviseur ?
Il me semble que les versets 17 à 32 du chapitre 4 de l’épître aux Éphésiens nous encouragent à aller plus loin que simplement nous détourner du péché ; non seulement nous dépouiller de notre vieil homme, mais aussi nous revêtir de notre nouvelle nature. Dit autrement, ne pas nous contenter de « désherber » notre péché mais aussi « cultiver » la vertu opposée à ce dernier ; par exemple, non seulement « renoncer au mensonge », mais aussi « parler selon la vérité » (verset 25).
Au-delà de l’illusion du simple divertissement se cache bien souvent un réel agent de déshumanisation
Si nous voulons porter un fruit témoignant de l’œuvre transformatrice de Dieu dans notre vie (voir Galates 5.22), veillons à tout ce qui peut être semé et arrosé dans notre cœur par le biais de nos écrans et qui nous éloigne de notre modèle d’humanité auquel on devrait tendre, à savoir Jésus-Christ. Demandons humblement à Dieu le discernement nécessaire pour prendre conscience de l’influence que peuvent avoir ces émissions de télé-réalité-compétition, particulièrement sur notre manière de parler aux autres et des autres.
Et bien que la présente étude se concentre sur un type d’émission d’une plage-horaire précise, elle pourrait s’étendre sur toute la programmation télévisuelle.
A titre d’exemple, et pour rester dans le cadre des émissions de téléréalité ; on pourrait se demander comment certaines émissions mettant en scène des célibataires en mal d’amour comme « Bachelor, le gentleman célibataire » (NT1), « Qui veut épouser mon fils ? » (TF1), « L’amour est dans le pré » (M6) ou « Mariés au premier regard » (M6) normalisent à leur façons les relations amoureuses et deviennent des vecteurs de stéréotypes sexistes.
Comme la petite langue, le petit écran peut être vecteur de grandes répercussions sur nos comportements ; au-delà de l’illusion du simple divertissement se cache bien souvent un réel agent de déshumanisation. Ainsi, demandons la sagesse nécessaire pour pouvoir utiliser, si c’est possible, la télévision à bon escient.
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Notes :
[1] plage horaire allant généralement de 18h à 20h, précédent le “prime time”, la plage horaire avec le plus d’audiences entre 20h et 23h
[2] “6 Expressions Pour Comprendre Les Audiences Télé.” RTL.fr,
www.rtl.fr/culture/medias-people/pda-frda-50-6-expressions-pour-comprendre-les-audiences-tele-7789498303.
[3] Chiffres Médiamétrie pour la période du 7 janvier au 29 mars 2019
[4] Zerrouki, Rachid. “La Télé-Réalité, Du Divertissement à L’abrutissement.” Slate.fr, 11 Apr. 2018,
[5] Desmurget, Michel. TV Lobotomie: La Vérité Scientifique Sur Les Effets De La Télé. J’ai Lu, 2016.
[6] Chiffre Médiamétrie pour l’année 2018 ; https://www.mediametrie.fr/fr/lannee-tv-2018
[7] Lichtle, Jérome. Les Effets De La Télévision Sur Vos Comportements.” Dans Vos Têtes, 7 Feb. 2019, blog.francetvinfo.fr
[8] Flament, Jean-Yves. “Téléréalité Et Idéologie.”
psychologieclinique.over-blog.com/2015/04/telerealite-et-ideologie.html.