Ces masques que nous portons

– par Mike Dente

.

De temps en temps, une œuvre d’art peut toucher notre âme. Elle nous examine et nous fournit un filtre comme sur un appareil photo. De cette façon, l’art capture un sentiment ou une vérité, et le rend plus pertinent pour notre existence, car il envahit notre imagination. C’est l’effet que les peintures de Georges Rouault ont eu sur moi quand je les ai découvertes. Qui est cet artiste ? Comment son œuvre parle-t-elle aujourd’hui ? Je voudrais d’abord présenter l’homme et son art, puis je voudrais m’excuser sur un des thèmes qui m’émeuvent : les masques que nous portons. De cette façon, j’espère discuter de ce que nous cachons aux autres, ou même de ce que nous montrons, en parlant des médias sociaux, de la luxure, et finalement, du repos en Jésus.

L’artiste

Georges Rouault est né en 1871. Son amour pour l’art lui vient de son grand-père maternel et en 1890, il entre à l’Ecole des Beaux-Arts où il devient l’élève de Gustave Moreau.

Plus qu’un professeur, Moreau est le guide spirituel et artistique de Rouault. En 1895, lorsque l’œuvre de Rouault fit l’objet d’un veto au Prix de Rome, Moreau lui conseilla de quitter l’académie pour peindre de façon indépendante. Plus tard, Moreau lui écrivit : « Vous aimez un art sérieux, sobre et, dans son essence, religieux, et tout ce que vous ferez sera marqué de ce sceau. »

Après la mort de son mentor, Georges Rouault se tourne vers une spiritualité qui transfuse son œuvre. À l’abbaye de Ligugé, il se joint à un groupe d’artistes pour créer un art sacré d’une telle qualité qu’il évite les tendances superficielles. Un exemple de cette période est « Madame X : J’irai droit au ciel, dit-elle avec une assurance douce et ferme ». Rouault capte l’austérité de la femme, ses mains en forme de prière sous un regard critique.

Comme Rouault le confie à Édouard Schuré : « J’ai la faute, (peut-être la faute… en tout cas, c’est un abîme de souffrance pour moi…) de ne jamais laisser à personne son manteau pailleté, que ce soit lui, le roi ou l’empereur. L’homme que j’ai devant moi, c’est son âme que je veux voir… et plus il est grand, plus il est humainement glorifié, et plus je crains pour son âme… « 

Rouault semble vivre dans une lutte avec la foi et le doute. Il a survécu à deux guerres mondiales, a connu la joie de l’amitié et du partenariat qui a fini par voir ses œuvres brûlées par des huissiers pour une question d’héritage.4 Rouault connaissait les profondeurs de la dépravation humaine, et pourtant, il y croyait toujours. Dans une lettre adressée au père Regamey, il explique que « l’art est une prière ardente ».

Bien que son œuvre ne se limite pas à l’art religieux, il a repoussé les limites traditionnelles, comme dans « Le vieux roi « , où la richesse de Salomon est représentée par des couleurs vives. Le roi, tenant une fleur, a un visage qui grimace d’épuisement. En cela, Georges Rouault peint la réalité que seul un croyant peut voir : la dimension multiple d’un monde déchu. Mais ces sujets sobres donnent aussi lieu à des lueurs de grâce comme la gravure « C’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris ».

Le parallèle avec l’époque actuelle

Mais pour relier l’œuvre de Rouault à notre époque, j’aimerais me tourner vers les clowns qu’il a peints. Pourquoi des clowns ? Dans « Qui ne se grime pas ? (Qui ne se maquille pas ?), nous avons une réponse dans la souffrance d’un homme qui tente à peine de cacher sa douleur, et dont la question provocatrice nous dénonce tous.

Rouault nous dit, à travers sa lettre à Schuré, d’où vient l’inspiration :

« Cette calèche de nomade arrêtée sur la route, ce vieux cheval robuste qui broute l’herbe fine, ce vieux clown assis au coin de sa remorque qui raccommode son pelage brillant et bigarré, ce contraste de choses brillantes et scintillantes faites pour s’amuser et cette vie d’infinie tristesse… J’ai vu clairement que le « Clown », c’était moi, c’était nous… presque tous… »

En effet, nous portons tous des masques. Nous attirons tous parfois l’attention sur le centre de ce que nous voulons montrer et cachons ce qui ronge l’âme. C’est là que se situe notre pertinence, et notre apologétique, dont je prends la définition de Yannick Imbert : « La manifestation en paroles et en actes de la vision du monde ou de la philosophie chrétienne contre toute forme de vision du monde ou de philosophie non chrétienne ».

Le port d’un masque n’est pas nouveau, mais Rouault a mis en évidence un défaut humain. Quels sont les masques de notre époque ? Les types de masques qui marquent notre époque peuvent être synthétiques comme les médias sociaux, qui servent de projection de ce que nous voulons être et de ce que nous choisissons de montrer au monde. Le masque devient un message, une image, un flux en direct ou même un commentaire. Dès que nous entrons sur la scène du monde public, nous envoyons un message qui met en évidence ce que nous souhaitons montrer. Lorsque tout va bien, il y a une essence communautaire effervescente. Il est agréable de recevoir des compliments, de partager un moment, et il est réconfortant de s’aligner avec d’autres qui ont des intérêts similaires.

Mais dans le pire des cas, ces mêmes masques Internet peuvent devenir nuisibles comme le cyber-harcèlement ou les fake news. Bien que je parle de nos réseaux sociaux comme Facebook, Instagram, etc., je ne fais en aucun cas campagne contre eux. Ils ne sont qu’un moyen de communication, mais qui révèle des questions plus profondes soulevées par Rouault, comme la condition spirituelle du cœur humain. Un exemple en est la comparaison constante avec d’autres qui peuvent induire « un état de désir d’avoir plus que ce qui est dû, donner lieu à l’instabilité, à la cupidité  » ou simplement à la luxure. Dans Colossiens 3:5 et Ephésiens 5:5, l’apôtre Paul a dénoncé la luxure comme étant une idolâtrie.

Le lien entre l’artiste et les masques

Quel est le lien ? Pour paraphraser Calvin dans son commentaire sur les Ephésiens, il s’agit de « remplacer Dieu par un plus grand désir ». La représentation, qui devient notre principal désir à entretenir, finit par être notre masque. Quand on parle de masque, on en vient à l’hypocrisie (derrière le mot se cache la définition, « porter un masque »), alors que Jésus nous invite à la transparence et à nous rapprocher de Dieu. Il nous demande de baisser nos masques, de déposer nos prétentions, et de venir à lui, même dans la souffrance, pour trouver la paix (Matthieu 11:28-30).

Lorsque nous prions à travers un masque, qu’il s’agisse du masque d’une prétendue spiritualité, d’une fausse humilité ou même d’une expertise en théologie, nous ne sommes pas honnêtes avec Dieu. Cet effort inutile épuise la grâce dont nous avons si désespérément besoin. En portant le masque, nous prouvons notre mérite ou nous protégeons nos cœurs de l’œuvre sanctifiante du Seigneur. Après tout, seuls les malades ont besoin d’un médecin. Mais lorsque nous lâchons prise, surtout dans la souffrance qui vient de la reconnaissance de la laideur de notre péché, nous recevons la paix du pardon de notre Rédempteur.

Son repos nous conduira à une prière saine, sans parler d’une meilleure utilisation des réseaux sociaux. N’étant plus une idole, nous pouvons éviter d’être dévorés par la luxure. Même si les masques font partie des médias sociaux, nous n’avons pas besoin de nous donner entièrement au jeu. Personne ne met une photo de profil moche à moins que ce ne soit fait exprès. Ma photo de profil actuelle est la photo la plus mise en scène que j’ai publiée, mais je l’aime bien.

Honnêtement, nous ne devrions pas prendre nos masques trop au sérieux, ni ceux des autres. Il y a un équilibre que nous devons tous trouver entre ne pas porter nos sentiments sur notre manche et être à l’aise avec nous-mêmes, avec notre masque et tout le reste. De plus, nous ne pouvons pas échapper à notre humanité, et ce n’est pas ce que le Christ demande. Le chrétien est appelé à revêtir la nouvelle humanité en Christ (Romains 13, 14), et ainsi, nous trouverons le repos de notre âme et la transparence envers les autres qui vient de la justification. En cela, les peintures de Georges Rouault montrent que, même si nous portons tous un masque de temps en temps, en nous reposant dans le Seigneur, nous pouvons échapper au piège de la duplicité.

.

Original en anglais : https://calvarychapel.com/posts/rouault-and-the-masks-we-wear-by-mike-dente

Laisser un commentaire