Mort d’un mentor

(sir Sean Connery, 25 août 1930 – 31 octobre 2020)

– par Y. Imbert

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Scotland forever.

C’est le tatouage qui a valu à Sean Connery une bonne dose de critiques. L’Ecosse, toujours… jusqu’à prendre parti en faveur du nouveau parlement écossais. Pour certains, Sean Connery c’est plutôt James Bond forever, un rôle qui n’a pourtant jamais remporté l’enthousiasme de l’acteur. Pour d’autres enfin, Sean Connery c’est un film.

Le rôle de mentor le plus classique chez Connery c’est bien sûr le premier film Le Highlander dans lequel il donne la réplique à Christophe Lambert. Mais c’est aussi celui des Incorruptibles, et dans une certaine mesure celle du père d’Indiana Jones, modèle de l’archéologue que deviendra « Junior ». Connery reprend le rôle de mentor à de nombreuses reprises dans sa carrière, surtout dans la deuxième moitié de sa carrière cinématographique. Si dans les premières décennies, ce fut moins le mentor mais le duo que certains rôles explorent (comme dans L’homme qui voulu être roi), rapidement Connery va incarner des rôles beaucoup plus proche de celui de la figure paternelle ou de celui de guide… que ce soit dans Rock ou l’improbable Soleil levant. Même ce monumental échec qu’est La ligue des gentlemen extraordinaires présente Allan Quatermain comme une telle figure.

Dans Les incorruptibles, Connery reprend de rôle de mentor dans l’Amérique de la prohibition. Oubliez les têtes coupées et l’immortalité : c’est la nature de l’intégrité et de la vocation policière que le personnage de Connery conduit Elliott Ness (incarné Kevin Costner) à re-découvrir, à explorer, et à pleinement vivre. Dès la première rencontre entre leurs deux personnages, le ton est donné avec cette première leçon : « Qu’est-ce que vous voulez ? Des leçons gratuites de police ? … Vous venez juste d’accomplir la première règle des forces de l’ordre. Faites en sortes qu’à la fin de votre ronde, vous puissiez rentrer en vie. Fin de la leçon. » Avec une petite dose de sarcasme, ou est-ce de cynisme, le personnage de Jimmy Malone est posé. C’est lui qui servira de guide tout au long du film, même après son meurtre.

Pourtant le personnage de Connery, nous le découvrons plus tard, n’est pas un saint. Etre un mentor n’est pas synonyme de perfection, loin de cynisme et de sarcasme, qui ne quittent jamais le rôle de Jimmy Malone, le ton de mentor est donné. Il dévoile, il guide, il éclaire. D’ailleurs dans Les Incorruptibles, le mentor c’est précisément celui qui révèle ce qu’est le monde. C’est parfois une réalité dure et brutale, surtout dans le Chicago des années 1930. Le monde de Chicago dans le film c’est celui-ci : « Tu veux avoir Capone ? Voici comment le trouver. Il sort un couteau, tu sors un flingue. Il envoie un des tiens à l’hôpital, tu envoies un des siens à la morgue ! C’est la manière de faire à Chicago. » Voilà. Le mentor c’est ça : il dit ce qu’est le monde, et cela vous transforme.

Plus tard, lors d’un raid à la frontière du Canada, la violence des « incorruptibles » conduit le chef de la police montée canadienne à protester… et Kevin Costner de répondre : « Et bien, vous n’êtes pas de Chicago. » Il a apprit de son mentor. Le monde est violent. Ce n’est pas à force de politesses que la pourra s’appliquer et que Capone finira par tomber. Le monde a été dévoilé pour ce qu’il est. La leçon est apprise.

D’ailleurs, c’est une phrase qui revient en début et fin de film : « Fin de la leçon ».

Les mentors qu’incarna Sean Connery sont imparfaits. Ils sont violents, parfois menteurs, ou limite dépressifs. Mais ce qui font d’eux de grands mentors, c’est qu’ils savent ce qu’ils doivent faire et dire. Ils savent ce de quoi ils sont les mentor, comme dans Le highlander. Sous sa direction, Christophe Lambert prend pleinement possession de son identité. Il embrasse son « immortalité » et la loi implacable du quickening : « Il ne peut en rester qu’un. »

Bien sûr tous les mentors échouent. Ils ne sont jamais eux-mêmes ce qu’ils devraient être, et ils le savent. L’écrivain William Forrester incarné par Connery le sait bien, et c’est précisément pour cela qu’il se révèle être le mentor improbable pour le jeune Africain-américain joué par Rob Wallace. Dans À la rencontre de Forrester, le mentor n’est pas qu’un guide… c’est aussi celui qui est transformé par la nouvelle relation qui s’installe. Cela aussi c’est une dimension cruciale du rôle du mentor.

Ce qui font de ces rôles se Sean Connery de grands mentors, c’est qu’ils sont conscients de leurs faiblesses, et c’est à travers elles que la vraie nature du mentor se manifeste. C’est à travers lui que l’identité est appréhendée, acceptée. C’est à travers lui que la vocation est découverte. À travers lui que le monde est dévoilé. À travers lui que nous sommes transformés. Cette transformation est vécue par Dennis Quaid dans Coeur de dragon. L’amitié de Draco conduit le chevalier qui a perdu sa voix à retrouver sa vocation. La restauration est complète.

Mais comment cette transformation s’ancre-t-elle dans le temps si nos mentors sont finalement comme nous… trop comme nous ? Trop humains. Quel espérance de devenir ce que nous devrions être ? Les mentors sont des exemples, des guides, des révélateurs de ce qu’est l’être humain.

Nous avons tous besoin de mentors, mais nous ne pouvons être transformés par eux, d’une manière définitive et radicale que s’ils nous entraînent dans la vraie humanité et éclaire notre vraie vocation. Le mentor doit ainsi être humain1. Mais il ne peut pas être seulement humain. Si nos mentors, si les seuls guides que nous pouvons avoir, n’étaient qu’humains, nous ne pourrions pas être certains d’un jour savoir ce que cela veut vraiment dire d’être humain. Cela n’enlèverai rien à la valeur de ce que nous apprendrions sous la direction de nos mentors humains. Mais cela le limiterait… parfois trop !

Oui, un mentor doit être humain, mais il ne peut pas être que cela. Il doit transcender l’humanité afin de guider et dévoiler. Un tel mentor existe : Jésus-Christ. Il est le « mentor humain » car il a vécu pleinement notre humanité : il a vécu nos faiblesses, il a vécu comme nous, cependant sans se détourner de Dieu (lettre aux Hébreux, chapitre 4, verset 15). C'(est lui qui nous ouvre la voie de la vraie humanité. Vrai Dieu, il n’a pas eu honte d’être fait homme afin de nous dévoiler la réalité du monde, et de nous-mêmes… ce qui lui a coûté la vie. Jésus-Christ, notre mentor suprême, est devenu le premier de nombreux frères (lettre aux Romains, chapitre 8, verset 29). Jésus notre mentor nous appelle frères. Il nous accompagne et nous guide vers un monde de paix, d’amour et de justice qu’aucun de nos mentors humains ne peut pleinement vivre.

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Notes :

1 Bien sûr Coeur de dragon est une exception… car c’est de la fantasy !

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Yannick Imbert est professeur d’apologétique à la Faculté Jean Calvin à Aix-en-Provence.

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