La SF en dix phrases

– par Y. Imbert

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Un jour j’ai vu cette ligne : « La SF en dix phrases… » Je ne me rappelle plus exactement dans quel contexte, mais j’ai trouvé cela intéressant. Un gros défi même. Alors j’ai essayé…

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Le dernier homme vivant sur la terre attend chez lui. On frappe à la porte et peu après, un homme fait son apparition.

Lui, l’homme de la fin du monde, fait quelques pas dans le vestibule désert avant de déclamer :

« Frédéric Brown ? Une étoile m’a dit que vous seriez chez vous. »

De réponse il ne reçoit que le son des pas de l’ombre de son hôte.

L’homme de la fin du monde, silencieux comme le monde qui s’efface,  se tourna vers le dernier homme vivant sur terre.

Le dernier homme vivant sur terre, aveugle comme le nouveau monde entrain de naître, se détourna de l’homme de la fin du monde.

Il se détacha de l’ombre et interpela son visiteur :

« L’univers est en folie, Frédéric Brown. »

Puis il fit quelques pas dans le vestibule toujours désert et murmura, comme pour lui-même :

« C’est ainsi que je veux mourir lorsque je serais le dernier homme vivant sur la terre. »

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La science-fiction en dix phrases. Impossible. Ou presque ?

D’ailleurs, qu’est-ce que la science-fiction ? La SF, c’est d’abord un déplacement, une disjonction, entre le monde tel que nous le connaissons (ou percevons) et le monde qui nous est re-présenté. C’est une manière de faire apparaître comme différente une réalité que nous avons du mal à appréhender… y compris quand nous pensons la maîtriser.

La SF est en cela apparentée à la fantasy – la Faërie, dirait Tolkien – en ce qu’elle rend le familier inhabituel. Le propre de la SF, c’est de le faire à travers une projection… certains diraient dans le futur. Peut-être. Pourtant la SF n’appartient pas qu’au futur. Prenez Philip K. Dick. Très ancré dans sa propre contemporanéité, et pourtant c’est l’un des pères de cette grande SF des années 1960-1970. Lisez Dick… non, ne regardez pas les films tirés de son œuvre. Lisez ses livres. Le futur est là, mais dans un immédiat trop proche. Le monde SF de Philip Dick c’est un monde alternatif trop proche de nous jusqu’à ce que nous découvrions que ce à que nous nous attendions nous a égaré dans un monde étrange.

Car notre monde est trop familier, tout en devenant trop étrange, comme si nous y étions « naturellement étrangers ».

Dans un certain sens, notre monde est bien une fiction. La foi chrétienne nous montre, parfois dans un langage très fort, que nous sommes « étrangers et voyageurs » sur cette terre (première lettre de Pierre, ch. 1 v11). Nous sommes étrangers, mais que pour un temps. Un jour nous serons dans une réalité à laquelle nous appartenons pleinement. Cette réalité, c’est celle du royaume de Dieu, espace-temps dans lequel Dieu rassemblera et embrassera toutes choses.

Jusqu’à ce temps nous sommes une science-fiction. Nous sommes des incarnations vivantes de cet inhabituel ordinaire dans lequel nous ne pouvons qu’être étrangers. Pour les chrétiens, cette tension ne peut être que vécue en Christ, le Dieu éternel à qui appartient le passé, le présent, et l’avenir. Lui aussi qui s’est fait homme et a vécu comme pèlerin sur la terre pendant un temps : il fut le pèlerin de la foi qui donna sa vie pour que nous puissions nous aussi suivre ses pas.

Vous ressentez vous aussi cet entre-temps, cette SF distendue dans votre quotidien ? Venez alors rejoindre le Dieu-homme qui fait de toute SF une future plénitude.

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Yannick Imbert est professeur d’apologétique à la Faculté Jean Calvin à Aix-en-Provence.

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