– par Yannick Imbert.
La marque anglaise fondée en 1895 a lancé, il y a un an, un total renouvellement de son identité par un changement de logo et de slogan. Le nouveau logo, « Delta », n’est pas qu’un simple lifting graphique. C’est, selon les mots mêmes du communiqué de presse « le symbole qui représente le changement positif et transformateur que le fitness (l’entraînement physique) peut avoir sur la vie d’une personne. »1 L’effort évident de promotion identitaire correspond à la double volonté de Reebok de relancer ses ventes et de se distinguer de ses compétiteurs immédiats comme Nike2. Cette campagne de Reebok, « Devenez plus humain / Be More Human », avec son site internet et sa vision pour une nouvelle humanité, a été récompensée par le prix Lion d’Argent de Cannes3, considéré comme l’un des plus grand prix dans le domaine de la publicité.
Mais au-delà des qualités de la campagne de Reebok, il y a un élan fondamental : sa focalisation sur l’effort physique. Certains aspects de la campagne « Be More Human » donnent à réfléchir, comme par exemple sa mission de changer la manière dont nous percevons et vivons l’activité physique4. La perception dont il est question ici est celle de la beauté, du rapport entre corps et effort physique. Reebok souhaite « remettre en question la notion de beauté en encourageant les enthousiastes de fitness à se rebeller contre les selfies joyeux et naïfs en mettant en ligne des photos d’eux-mêmes dans la situation la plus crue, brisée, fatiguée, qui suit leur effort physique. »5 Cette remise en cause de la nature purement visuelle, superficielle, voire émotionnelle de la notion contemporaine de beauté est la bienvenue.
Que dire de ceux et celles qui, seul(e)s au foyer, ne peuvent que passer leur temps à travailler et prendre soin de leur famille ? Reebok n’a pas de place pour eux.
Malheureusement la campagne « Devenez plus humains » est problématique. Deux choses retiennent mon attention :
Premièrement, l’association entre le bien-être physique et le fitness. Sous la plume esthétique de Reebok, le fitness est pour ceux qui ont le temps, qui peuvent s’y investir, qui ont une personnalité type « gagnant ». Il s’agit de ceux qui peuvent prendre le temps, en dehors du travail, de faire du fitness dans leurs heures perdues, en guise de loisir. N’y aurait-il pas quelque chose d’élitiste dans cette notion de bien-être ? Que faire de ceux qui n’en ont ni le temps, ni les moyens physiques ? Que dire de ceux et celles qui, seul(e)s au foyer, ne peuvent que passer leur temps à travailler et prendre soin de leur famille ? Reebok n’a de place pour eux. Tout le visuel du site de la marque, ces hommes et femmes olympiens qui se dépassent, qui se forment moralement et physiquement par leur effort physique, tout ce visuel est criant d’élitisme.
Certes, ce site est fait pour nous encourager à nous dépasser ; et oui, c’est quelque chose de positif. Oui, ce site nous encourage à prendre soin, à développer, notre corps ; et oui, c’est quelque chose de positif. Et malgré tout, la vue du bien-être physique n’est pas totalement valorisante. En fait, il faut nous rappeler que cette campagne est celle d’une grosse société qui, à travers sa pub, essaie d’entretenir son image et de développer sa clientèle. La valorisation de l’humain est faite de telle manière qu’elle valorise la position stratégique entrepreneuriale de Reebok. C’est, littéralement, un « coup de pub », une tentative de vendre plus pour gagner plus !
Deuxièmement, le « questionnaire » en ligne proposé par Reebok tente d’identifier des types de personnalités différentes. En soi, rien de bien nouveau. Ce test-là vise, à travers une longue série de questions, à chiffrer l’humanité du participant6. Il est difficile de le résumer fidèlement, mais pour faire simple : les six traits principaux de l’humanité selon Reebok sont la moralité, l’inspiration, la réputation, la sociabilité, la spiritualité, et l’indépendance. Ce choix de caractéristiques est réellement fascinant. Je le rejoindrai sur plusieurs points. Pourtant, ces traits sont-ils bien définis ? Suffisent-ils même à faire de nous des êtres humains ? Par exemple, la réputation est-elle plus importante que la compassion ou l’altruisme ? L’indépendance doit-elle être plus valorisée que la dimension communautaire ? Reebok trahit ici des présupposés évidents.
Ces derniers conduisent le « score humain » de Reebok a mettre en valeur différents profils humains comme « Guardien », « Déterminé », « Esprit Agile » ou encore « Intello ». Alors, il est vrai que Reebok ne place pas nécessairement un type au-dessus d’un autre. En fait, chaque type peut avoir un score humain plus ou moins grand. Cependant, suite à une rapide évaluation, il semble que l’Intello sera moins humain que le Déterminé. Le plus étonnant c’est que sur la blogosphère, personne ne s’étonne de pouvoir être évalué« moins humain » que d’autres. Peut-être suis-je le seul à m’en étonner ? L’idée même que certains puissent être « plus » humains simplement à cause d’une sociabilité ou d’une forme physique différente m’est totalement inacceptable !
C’est lui, Christ, qui s’est fait humain, et qui est venu pour représenter tous les êtres malades, brisés
Notre humanité n’est pas amoindrie par nos maladies, notre obésité, nos amputations, ou nos mauvaises habitudes ; pas plus qu’elle ne l’est par nos régimes, nos excès, notre manque de sociabilité ou l’ignorance de notre bien-être physique. Le problème, ou le but, de l’humain n’est pas son bien-être physique. Le critère qui fait de nous des êtres humains est tout autre. Le seul critère d’humanité, qui peut maintenir la dignité égale de tout être humain, c’est que Dieu s’est fait homme. Celui-là même qui avait créé l’être humain à son image, nous donnant ainsi toute notre dignité ! C’est ce même Dieu, Jésus Christ, qui s’est « fait chair » et qui est venu pour représenter tous les êtres malades, brisés, socialement rejetés, professionnellement discriminés ; ceux dont ont se méfie, ceux qu’ont hait, ceux qu’on méprise. C’est toutes ces humanités différentes que Christ vient rétablir.
Tous les sportifs, de haut niveau ou de type Reebok, le savent. La réalité de l’effort physique est loin de ce que les selfies gentils et bien sur eux veulent montrer. la réalité est plus crue, nue, directe. C’est un miroir qui ne ment pas. Si nous sommes parfois « brisés » par notre fitness, rappelons-nous que notre humanité l’est en fait totalement. Inutile alors d’essayer de prendre de nous-mêmes des selfies joyeux et insouciants, trahissant la réalité de notre monde. C’est un monde brisé dans lequel nous pouvons prendre des « photos » vraies de nous-mêmes : fatigués, malades, épuisés. Des photos qui reflètent la condition d’une humanité qui aspire au repos, à la paix. Repos et paix que nous donne Christ.
« Ensemble, nous sommes un meilleur Reebok », proclamait son président, « et nous savons que cela peut se faire n’importe où avec une approche et une attitude juste de la vie humaine. »7 Peut-être qu’en termes d’entrepreneuriat, Reebok est une meilleure compagnie, mais elle ne propose pas une meilleure attitude envers le concept « être humain ». Au contraire. Reebok propose une vue étroite, élitiste, voire idéologique de notre humanité. De fait, Reebok met au ban de l’humanité tous ceux qui ne peuvent pas correspondre à l’idée du bien-être physique mis en avant par la marque. En Christ, nous trouvons la seule humanité, celle qui se décline sous de nombreux modes, celle qui seule peut restaurer et rendre sa dignité à nos humanités.
Notes :
1 Reebok, « Reebok signals change with launch of new brand mark », http://news.reebok.com, consulté le 21 janvier 2016.
2 Darren Heitner, « Reebok Reveals Massive ‘Be More Human’ Brand Campaign », Forbes, 28 janvier 2015, http://www.forbes.com, consulté le 21 janvier 2016.
3 Reebok, « Reebok awarded two silver Cannes Lions », http://news.reebok.com, consulté le 21 janvier 2016.
4 Reebok, « Reebok challenges the world to be more human with new brand campaign », http://news.reebok.com, consulté le 21 janvier 2016.
5 Ibid.
6 Ce procédé de calcul a été travaillé par le scientifique David McRaney, mais bien sûr il faut questionner la possibilité même de donner une valeur numérique à notre humanité.
7 Reebok, « Reebok signals change with launch of new brand mark ».
.
.
Yannick Imbert est professeur d’apologétique à la Faculté Jean Calvin à Aix-en-Provence.
1 comment
Que m’inspire cet essai ?
Tout d’abord je me pose une question essentielle : qu’est-ce qu’un commerçant ?
Dois-je répondre à cette question naïvement ou en exerçant ma sagacité, dois-je oublier le premier rôle du commerce qui est de vendre et de rentabiliser ce commerce considérant que la fin veut les moyens ou dois-je éluder cette particularité évidente et retourner parmi les naïfs incurables ?
Si l’analyse me fait réagir (et c’est peut-être le but de l’auteur) je m’étonne du propre étonnement de cet auteur qui semble être surpris par la nature humaine … à moins que le propos l’oblige à la simulation dans un but honorable à savoir celui de nous inciter à la réflexion …
Un lecteur objectif .