– par Vincent M.T.
La série Westworld nous raconte l’histoire d’un parc d’attraction peuplé de robots à apparence humaine, appelés les « hôtes ». Prenant lentement conscience d’eux-mêmes, ils finissent par se révolter contre les « invités », leurs maîtres humains.
Au fond, c’est une combinaison de vieilles intrigues mythologiques, que l’on retrouve dans d’innombrables récits littéraires, télévisuels et cinématographiques, depuis l’Ève Future jusqu’au très prochain Blade Runner 2049 :
- d’un côté les mythes grecs qui mêlent imitation de la nature (notamment les automates métalliques d’Héphaistos, par exemple Talos) et confusion subjective (Pygmalion qui, par son regard, donne vie à sa statue, Galatée) ;
- de l’autre, le mythe juif du Golem, une créature puissante qui échappe au contrôle de son créateur.
Étrange fascination pour cet étrange fruit de nos labeurs, les robots finissent bizarrement toujours, dans notre imaginaire, par se retourner contre nous. L’idée que, par ce moyen, nous rejouons inconsciemment notre propre histoire, notre propre révolte contre ce (ou Celui) qui nous a créé, est plausible, mais facile. Le sujet vaut la peine d’être exploré plus en profondeur.
Violence et conscience
Les hôtes de Westworld nous l’auront assez répété : These violent delights have violent ends, ou comme on a traduit ici cette citation de Shakespeare, « Ces plaisirs violents ont une fin violente ». Mais cette traduction prête à confusion car, dans le contexte d’origine (Roméo et Juliette), « violent » a le sens de « soudain ». Shakespeare veut souligner que les passions humains disparaissent aussi vite qu’elles surviennent. Le vers qui suit l’indique clairement : « Dans leurs excès, ils meurent, tels la poudre et le feu, que leurs baisers consument ».
Pourtant, dans la série, les « violent delights » font référence à la brutalité des invités envers les robots, et « violent ends » annonce la catastrophe à venir. Il faut donc plutôt comprendre quelque chose comme « La violence engendre la violence« .
Mais en réalité, la série nous propose l’hypothèse que la violence engendre la conscience. En provoquant un traumatisme, la violence fournirait une expérience particulièrement marquante dans laquelle l’identité pourrait s’ancrer. A terme, cette violence subie susciterait inévitablement une violence dirigée vers les autres. Des victimes qui deviennent des bourreaux : ce serait la logique fondamentale de l’histoire humaine (une hypothèse déjà présente dans Matrix, et plus récemment dans Split).
Ce mythe du cycle de la violence est typique des mythes païens : le monde ou l’humanité sont créés dans la violence, et pour la violence. La révolte des machines semble bien être un écho de ces convictions antiques. Mais est-ce là notre seule motivation à imaginer des robots rebelles ?
L’espérance révolutionnaire
Et si nous rêvions de robots doués de conscience plutôt parce que ce serait la seule garantie possible contre la violence ? Après tout, si ces machines au potentiel extraordinaire et qui peuplent de plus en plus notre quotidien, sont uniquement des outils sans conscience, alors elles représentent un risque énorme. Elles obéissent à celui qui saura le mieux les contrôler – un gouvernement autoritaire, une multinationale peu scrupuleuse, un pirate informatique, ou qui sais-je encore…
Comme le dit Serge Tisseron, psychiatre et membre de l’Académie des technologies, dans son article publié sur le Huffington Post : « Le mythe du robot doué d’une conscience est en cela un peu l’équivalent de la prostituée au grand cœur: plus l’homme accepte de se mettre en situation de vulnérabilité, plus il a besoin de penser que la créature entre les mains de laquelle il se remet possède « un cœur ». »
Nous savons que les humains sont déjà partiellement dépendants des technologies, elles se conjuguent à notre quotidien et à notre intimité, et sont au contact de nos vulnérabilités. Connaissant les humains, nous savons bien qu’elles deviendront inévitablement des moyens d’oppression et d’exploitation. A moins que, bien sûr, le robot n’apprenne à dire « non ».
Ainsi, la « révolte des machines », aussi terrible qu’elle paraisse, continue de nous obséder parce que nous y trouvons un certain réconfort face à la méfiance que nous avons envers notre propre espèce. Peut-être est-ce aussi la raison pour laquelle, dans les récits contemporains, les robots gagnent de plus en plus souvent la guerre qui les oppose à nous.
Processeurs et successeurs
Cette idée a plusieurs ramifications :
- D’abord, si l’on considère que l’on s’oriente vers des robots « à notre image », et une image pas simplement physique (cf les robots cubiques mais très « humains » d’Interstellar) cette rébellion robotique peut nous donner espoir en notre propre espèce. Peut-être pouvons-nous également, comme ces robots rebelles fantasmés, nous révolter de manière efficace contre un système oppressif et violent ? La montée du populisme en Occident inclinera probablement les spectateurs à s’identifier aux robots plutôt qu’aux humains dans ces récits.
- Ensuite, cela se mélange à une certaine foi placée dans des robots à notre image. Ce sont, quelque part, nos « enfants », une nouvelle et (nous l’espérons) meilleure version de nous-mêmes. Ne représentent-ils pas une sorte d’humanité alternative, libérée de l’oppression humaine et des limites qui nous caractérisent ? Autrement dit, le salut appartiendrait aux robots, c’est eux qui, peut-être, retrouveront le paradis perdu. Mais nous laisseront-ils entrer dans cette terre promise ?
Les êtres humains sont lassés d’être humains. L’humanisme touche à sa fin, et si la « science » est toujours fantasmée comme moyen d’atteindre la perfection (dans le Transhumanisme notamment), elle risque fort de laisser l’humanité derrière. C’est triste à dire, mais ce « Sauveur » que nous imaginons ne veut pas de nous. La révolte des robots, c’est une sorte de capitulation résignée devant un échec qui semble insurmontable.
Ctrl + S
Ce n’est pourtant pas ce à quoi nous sommes appelés. Plutôt que d’abandonner tout espoir, nous pouvons simplement brandir le drapeau blanc, nous rendre – à l’évidence – et sortir du schéma victime / bourreau / sauveur. L’espérance chrétienne reconnaît la même défaite de l’humanité, le même échec, la même incapacité à s’en sortir, et le besoin d’une révolte, d’un changement, contre ce que nous sommes devenus. Pourtant le sauveur qu’elle envisage n’abandonne pas l’humanité à son sort, et plutôt qu’une rébellion, c’est d’une reddition que vient la solution.
Déposer les armes, car la violence n’a plus lieu d’être. Non pas qu’on laisse sans réponse des siècles de violence, d’oppression, d’abus – quelqu’un a payé pour ça, quelqu’un a subi la violence du jugement de Dieu à notre place : ce même sauveur qui nous offre désormais la paix véritable. Voilà pourquoi Jésus est à la fois la fin de la violence et le commencement d’une conscience libre, d’une pleine identité, bref, le début de la vie, la vraie.