Plus proche qu’on ne croit : le mal dans Mindhunter

Traduction d’un article de Kaitlyn Schiess,
paru sur le site Christ and Pop Culture.

Nous sommes généralement assez certains que l’époque actuelle est plus atroce et perverse que toutes celles qui ont précédé. Tout du moins, nous imaginons souvent que les épreuves et tentations particulières de notre temps sont extraordinaires. Dans la série Mindhunter, nous avons l’avantage d’avoir le recul nécessaire pour reconnaitre cette illusion.

Mindhunter suit la création et le développement d’une section du FBI dédiée à l’étude du comportement des tueurs en série. Un petit groupe, composé de Holden Ford, jeune agent passionné de psychologie criminelle ; Bill Tench, ancien un peu bourru, expérimenté dans l’enseignement des sciences comportementales aux forces de police régionales ; et Wendy Carr, remarquable professeur de psychologie. Au long des dix épisodes de la première saison, l’équipe est assemblée à une vitesse presque mécanique, et seuls quelques épisodes rassemblent tous les membres. Holden, jeune prodige aux airs naïfs, doit convaincre les dirigeants du FBI d’autoriser son exploration – à tâtons – de la psychologie criminelle, et le service est lentement mis sur pied, dans l’opposition et les épreuves.

Vers la fin de la première saison, l’équipe commence enfin a utiliser les connaissances récoltées pendant des heures et des heures d’entretiens avec des tueurs en series, pour résoudre de nouveaux crimes. Holden, Bill et Wendy découvrent vraiment les principes de psychologie criminelle et établissent des protocoles au fur et à mesure pour leur propre usage. Une scène en particulier montre comment le groupe décide si l’expression « tueur en série », en tant que catégorie, va marquer les esprits, et donc durer dans le temps.

L’origine du mal

On s’attend bien sûr à ce qu’une série sur les tueurs en série présente les profondeurs de la perversité humaine et son caractère envahissant pour la personnalité et la société. C’est le cas pour quasiment toutes les séries policières ou d’investigations. Les gentils qui pourchassent les méchants se révèlent avoir des défauts à leur manière. Mindhunter joue sur ce plan, mais avec une lenteur insidieuse qui finit tout de même par surprendre un peu. Au lieu de nous montrer comment les gentils peuvent devenir des méchants, Mindhunter interroge : et si les « gentils » avaient toujours été aussi mauvais que les « méchants » ?

Et si les « gentils » avaient toujours été aussi mauvais que les « méchants » ?

La société. Le premier épisode semble poser la question que nombre d’entre nous posent aujourd’hui : Pourquoi les choses empirent-elles ? Pourquoi a-t-on l’impression qu’il y a de plus en plus de catastrophes, de souffrance, de perversité qu’avant ? Holden, instructeur nouvellement nommé à l’université du FBI à Quantico, sollicite l’avis d’un collègue plus expérimenté, et ils discutent de l’évolution des motifs des meurtriers. Holden remarque : « C’est comme si on ne savait plus ce qui pousse les gens à se tuer les uns les autres« . Plus tard le même jour, l’instructeur plus âgé ajoute : « Regarde tous ces événements sans précédents qui sont survenus dans les 15 dernières années« , et les deux agents mentionnent les « guerres controversées », le scandale du Watergate, la violence contre les manifestants, et la « disparition » de la démocratie comme des marqueurs spécifiques de leur temps. On y verrait presque un rappel assez grossier du manque d’originalité de notre propre climat politique, néanmoins cette conversation est tout-à-fait naturelle pour n’importe quelle époque.

L’individu. Alors que l’équipe commence à interviewer plus de tueurs en séries, et avec plus de méthodologie, la détermination inflexible de Holden commence à montrer son côté obscur. Ce qui était d’abord une fascination naïve et une curiosité intrépide glisse tellement naturellement vers de l’arrogance et de la cruauté qu’on le remarque à peine. La lenteur du rythme de cette série brille précisément dans ces moments, alors qu’épisode après épisode on s’attache à un personnage dont on se rend soudain compte qu’on le connaît à peine. Le rythme est parfois frustrant, quand de longues conversations se prolongent et prennent des airs de soliloque surréels, mais il trouve son équilibre par son extraordinaire capacité à produire une atmosphère hantée par une menace invisible, et qui rend cette 1ère saison si efficace.

Le héros. Au fur et à mesure que Holden acquiert des connaissances en psychologie criminelle et les met en application, ses entretiens deviennent plus troublants. Après une série de questions particulièrement sordides, il se défend devant les forces de police régionales : « Vous voulez des truffes ? Il faut marcher dans la boue avec les cochons« . Toute la seconde partie de cette saison aurait pu montrer comment Holden deviendrait lui-même un tueur en série, et en fait chaque épisode semble l’amener de plus en plus proche du point de basculement. Il est progressivement exposé à des comportements et manières de penser extrêmement dérangeants, tandis qu’il démontre sa propre capacité à reproduire les logiques mentales de ses sujets d’étude. Dans une scène en particulier, ce n’est même plus dans le cadre d’un interrogatoire qu’il fait un commentaire sur les vêtements « flashy » de la victime, qui « montre ses jambes en étalage ». Une fois qu’il a mis un pied dans les esprits de ces tueurs, il semble impossible d’en ressortir complètement.

La série s’assure qu’on n’ait aucune raison d’imaginer que Holden était préparé à ce genre d’évolution. Plusieurs personnages réagissent avec surprise en apprenant qu’il est né à New-York (je suppose que les New-Yorkais sont tous cultivés et cyniques de naissance) parce qu’il paraît tellement sain et presque fade. Sa petite-amie, Debbie, dit au départ qu’il ressemble à un Mormon, remarque plus tard qu’il se comporte comme un moine, et se demande comment des représentants de l’ordre peuvent être si naïfs. Nous sommes censés, peut-être plus qu’autre chose, tomber avec Holden dans sa chute, nous demandant avec lui comment ce gentil gamin finit par presque s’identifier à des tueurs en série pervers.

Un mal envahissant

Mindhunter peint ce tableau du mal envahissant, et cela dans toutes sortes de contextes. Il n’y a pas beaucoup de violence ou de gore dans la série, mais on y décrit très crûment les crimes profondément pervers que l’équipe doit investiguer. Après un entretien, Tench compare une publicité sexuellement suggestive aux photographies qu’un tueur a pris de ses victimes avant de les tuer. « Elles pourraient tout-à-fait être dans Playboy. A la télé, ou au cinéma. Typique de la donzelle en détresse« . Holden demande « Tu es en train de dire que la publicité crée des malades ?« , ce à quoi Tench répond non, mais l’implication est clair : nous ne sommes pas aussi loin de ces « malades » que nous aimerions le croire.

Dans le dernier épisode, des enquêteurs du FBI disent à Holden qu’il « développe un schéma de comportement qui ne le mènera plus très loin« . Il rejette constamment les conseils de Tench ou du Dr Carr, préférant écouter son intuition et se reposer sur ses connaissances. Ses tactiques d’interrogation discutables provoquent une enquête interne, mais il interrompt son entretien avec les enquêteurs, quittant la salle en disant « La seule erreur que j’ai jamais commise, ça a été de douter de moi« . Ses meilleures qualités en tant que nouvel instructeur au FBI – sa curiosité, son instinct sûr, et sa créativité – sont devenues dangereuses dès lors qu’il les a traités comme des absolus.

Mindhunter ajoute une nuance importante au thème classique du caractère envahissant du mal, en montrant à quel point nous pouvons facilement devenir les monstres contre lesquels nous souhaitons lutter. La mission noble et nécessaire que Holden mène en pionnier est prise en otage par son arrogance et sa conviction d’être dans le juste. Le message ici, ce n’est pas que d’être exposé au mal rende les gens mauvais, ou même que nous sommes tous capables de plus de mal que nous l’imaginons, mais que si l’on a peu conscience de notre propre capacité à être pervers, on en devient d’autant plus facilement victime. La caméra reste souvent en arrière, en écho à la distance que les personnages (et le public) veulent créer entre les tueurs et eux-mêmes. Malheureusement, le lent effondrement moral de Holden nous rappelle que nous ne sommes pas aussi étrangers à ces tueurs que nous voudrions le croire. Dès que l’on aborde une mission valable, il faut reconnaître nos motifs, qui ont inévitablement du bon et du mauvais.

Notre époque

De nombreuses discussions actuelles sont assez semblables à celle de Holden avec l’autre instructeur. Nous nous plaignons de la perversité grandissante de notre propre pays, ou de notre communauté, nous alignons les exemples pour démontrer que le mal devient de plus en plus présent, nous cherchons à identifier des schémas ou des solutions qui expliquent pourquoi les choses empirent. Les conservateurs critiquent souvent (à raison) les libéraux pour leur croyance au mythe du progrès continuel, mais reconnaissent rarement leur propre croyance que le passage du temps ajoute à la corruption humaine : dans nos cœurs, nos systèmes et nos institutions. En réalité, le péché a toujours été envahissant, systémique, et capable de se dissimuler même dans nos vertus et nos exploits. Mindhunter nous rappelle que ni nous, ni ceux qui nous entourent, ni notre époque ne sont aussi éloignés (ou proches) du mal que nous avons tendance à le penser.

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