– par Y. Imbert
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Les fans l’ont attendue depuis son annonce officielle : Star Trek : Discovery, la dernière série de la franchise Star Trek vient de terminer sa première saison. Star Trek… une légende de la série télé. Forcément donc, tout le monde attendait avec une certaine appréhension mêlée à une bonne dose d’excitation, cette nouvelle plongée dans l’univers de l’exploration de l’espace.
Vous vous rappelez peut-être de cette ligne mythique du générique de la première série. Sa mission : explorer de nouveaux mondes étranges, découvrir de nouvelles vies, d’autres civilisations et, au mépris du danger, reculer l’impossible. Ne vous attendez pas à trouver cela au coeur de Discovery… raison qui fait d’ailleurs que de nombreux fans ont bannis cette série du « vrai » univers Star Trek.
Science et exploration de l’espace
C’est vrai qu’en regardant un peu rapidement Discovery, on pourrait trouver difficile de voir la continuité avec les autres séries. Après tout, Star Trek, n’est-ce pas premièrement l’exploration, faire reculer par la science les frontières du « connu », découvrir toujours les limites de l’impossible et améliorer sans cesse notre humanité ? Y compris par l’interaction avec d’autres mondes et civilisations ? Or, dans Discovery, rien de tout cela !
Dans Discovery, la Fédération se trouve plongée dans une guerre avec les Klingons. Jusque là rien de bien surprenant, les relations Fédération-Klingons ayant toujours été un peu, disons… compliquées. L’élément déclencheur de cette guerre, c’est le choix du capitaine en second Michael Burnham qui se retrouve condamnée en court martiale, et envoyée… Ah ! C’est là que commence vraiment la série.
Au lien de se retrouver internée à vie dans un camp de travail, Burnham est intégrée à l’équipage du Discovery, vaisseau de la Fédération en pleine recherche sur nouveau mode de propulsion « instantané ». Que les fans de Star Trek se réjouissent, la voilà, la science. Bien sûr les recherches menées par l’astromycologiste Paul Stamets ne sont qu’un prétexte pour explorer la légitimité de l’entreprise scientifique. Prétexte ? En partie oui. Mais en partie seulement. Parce que l’une des questions sous-jacente est celle celle de l’intégrité de la science.
Oui, la science sert les impulsions guerrières du capitaine de Discovery, Gabriel Lorca. Oui, la science sert aussi de papier-peint à ce qui se veut « nouveau », la présence dans l’équipage d’un couple homosexuel. Par les temps qui court, ce n’est d’ailleurs pas un choix, mais une obligation politco-culturelle. Oui, Discovery se sert de la science. Mais est-ce vraiment cela le problème ? Ne voyons-nous pas à travers cela une question cruciale posée ?
L’intégrité de la science ne peut être maintenue que si une personne transcendante garantit son existence
Car le problème, non pas de la série elle-même, mais de ce que nous faisons de la science. Le problème, c’est ce que notre humanité fait de cette responsabilité immense qu’est la recherche scientifique. Et en nous conduisant subtilement (peut-être trop, d’ailleurs) sur ce chemin, Discovery est digne héritier de Star Trek. Car enfin dans la série originale, cette question est constante.
Bien sûr nous pouvons tous utiliser la science d’une mauvaise manière. Nous pouvons idéologiser la science en la faisant servir un autre maître. Ce fut le cas de tous les débordement génocidaires de la science, mais aussi de son travestissement par certains scientifiques essayant de la faire passer pour le porte-parole d’une philosophie athée. La science a une intégrité. Mais bien sûr, il faut pouvoir expliquer pourquoi. Je suis personnellement convaincu que l’intégrité de la science ne peut être maintenue que si une personne transcendante, personnelle, lui donne vie et garantit son existence. Ce ne peut pas être l’un d’entre nous. Nous sommes humains, bien trop humains. Nous sommes des « idéologisateurs » de la science.
La beauté, la complexité, l’incroyable merveille qu’est la science ne peut qu’être fondé par celui qui en est l’origine, un dieu créateur. Il est le garant de l’entreprise scientifique, et c’est à lui que nous devrons rendre compte de ce que nous avons fait de la science, et de ma manière dont nous l’avons utilisée à nos propre fins.
Ce qui manque…
Discovery n’est pas une mauvaise série. Cela dépend ce qu’on en attend. Tous ce que la société attend d’une série y est présent. Et c’est bien pour cela que c’est une bonne série pour ceux qui veulent comprendre le monde dans lequel nous vivons. Cela dit, il manque quelque chose. Toute bonne SF nous dit quelque chose au sujet de la société ou de l’humain. Et je peine à voir ce que Discovery a bien à dire…
Ce qu’il manque, ce que nous avons perdu, c’est une réflexion sur ce que cela veut dire d’être humain. Qui sommes-nous ? Que faisons-nous ? Il me semble que Discovery a encore beaucoup de choses à apprendre des premières séries qui, par exemple, contrastaient l’humain et a machine… notamment à travers l’évolution de celle-ci allant d’un super-ordinateur (celui de l’Enterprise mais aussi celui de l’épisode « The Ultimate Computer », saison 2, épisode 24 de Star Trek : La série originale) vers un androïde (Data, dans Star Trek : La nouvelle génération). Pas d’équivalent dans Discovery… peut-être aussi parce que la SF s’épuise à toujours vouloir inventer sans prendre le temps de réfléchir.
Bien sûr, laissons Discovery évoluer et grandir. Peut-être que la série trouvera son rythme et son identité dans les saisons suivantes. Pour le moment, Discovery est une bonne série, de divertissement. Mais c’est malheureusement tout.
Noir… donc mature
Un autre aspect bien différent de Discovery est sa coloration plus sombre, noire, que les autres Star Trek. Plusieurs ont noté cet obscurcissement. Pour certains c’est quelque chose de positif, notant une évolution naturelle de la franchise Star Trek. Des personnages plus « réels », une dimension plus tragique, et voilà Star Trek propulsé dans le 21e siècle. Pour d’autres, l’atmosphère noire n’est qu’un artifice utilisé pour voiler le manque de profondeur de la série.
Je n’irai pas jusque là. Mais je n’ai pas été convaincu par la manière dont cette coloration plus noire de la série a été traitée. Le problème c’est que cette coloration n’arrive pas à marquer profondément la série. Cette atmosphère sombre, certains diraient mature, n’est pas maintenue de manière consistante dans la première saison de Discovery. L’épisode « Magic to Make the Sanest Man Go Mad » (épisode 7) propose une fin facile à un épisode qui aurait pu être excellent, malgré un traitement assez classique en SF de la « boucle temporelle ». Cette fin assez facile qui veut mettre un peu de « légèreté » dans la série me donne l’impression que le scénariste a essayé de mettre un morceau de puzzle « comédie » au milieu d’un puzzle géant plutôt dramatique. Et franchement, s’il y avait un moyen de le faire, ce n’est pas Discovery qui l’a trouvé !
Parce que finalement, c’est vrai… n’est pas noir qui veut. Devenir mature n’est pas non plus un simple exercice de la volonté. Et c’est vrai aussi que donner des tons sombres, un fil rouge plus dramatique, une focalisation plus nette sur les tensions existentielles d’un Michael Burnham, ne fait pas de la série une « série noire ». Cela n’en fait pas non plus une série mature. C’est peut-être là mon principal soucis.
Star Trek est devenue une série « mature ». Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Aaron Harberts, l’un des producteurs de la série sous-entend ainsi que le langage profane, les injures, la nudité, participent d’une construction de personnages compliqués pas souvent vus à la télé. Passons sur la dernière remarque… parce que moi j’avais l’impression que personne ne faisait une série sans nudité et langage, disons « imagé ». Non, ce qui me fait vraiment réagir c’est cette idée que pour que quelque chose soit mature il faut y ajouter une bonne dose de sexe, d’érotisme, ou au minimum de nudité. Ironiquement il y a beaucoup moins de nudité dans la série que ce que certains auraient imaginé. Le problème ce n’est pas donc la nudité dans Discovery, quasiment inexistante, mais l’idée qu’il en faudrait pour faire d’une série télé une série mature.
Là aussi nous voyons la marque profonde que la société laisse sur notre production culturelle. Tout ce que nous produisons porte l’empreinte des habitudes que nous donne notre société. Et force est de constater que langage cru et nudité, sont partout attendus. Pas de pub, pas de série, pas de film, sans sexe. Explicite ou pas. C’est attendu. C’est « être mature ». Ce commentaire fait bien avant la sortie de Discovery est un exemple de la puissance formatrice des habitudes1. Notre éducation, les activités ordinaires qui sont les notre, ce que nous voyons sans y réfléchir… tout forme, construit, nourrit ce que nous sommes.
Mais la vraie maturité d’une série, ou de nous-mêmes, ne se construit pas sur ce que la société attend de nous. Si c’était le cas, nous changerions constamment. La société change, et avec elles ses valeurs. Nous ne devons pas nous nourrir de ce que la société nous propose. Nous devons entretenir une relation responsable mais critique, avec elle. Nous devons conserver une distance critique avec la société.
Mais cela n’est possible que si nous savons ce que cela veut dire d’être mature, d’avoir atteint notre pleine stature. La foi chrétienne affirme que cela n’est possible qu’en Christ, Dieu qui s’est fait homme. C’est lui, porteur de la vraie humanité, qui peut nous dire ce qu’est la vraie « maturité humaine ». C’est en lui seul nous sommes matures. En lui, nous voyons qu’être humain c’est prendre soin les uns des autres, c’est préserver la dignité et l’intimité du corps (et non son dévoilement public), c’est nous aimer les uns les autres, comme Christ nous a aimé (Jean 13.34, 15.9-17).
En Christ, le Dieu-homme, nous devenons vraiment humains. Hors de lui, nous imaginons ce qu’est l’humain, mais nous ne pouvons pas le savoir. Hors de Christ, l’humain est une terre inconnue que se propose d’explorer la franchise Star Trek. Mais jusqu’à présent, y compris dans Discovery, la série ne donne pas de réponse. Normal, seul Dieu le peut.
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Notes :
1 Le théologien J. K. A. Smith a récemment beaucoup commenté sur le pouvoir des habitudes dans la formation de nos personnalités. Cf. par exemple You Are What You Love: The Spiritual Power of Habit, Grand Rapids, Brazos, 2016.