– par Vincent M.T.
J’ai déjà abordé ici l’intérêt que peuvent représenter les films d’horreur, notamment pour les chrétiens, mais j’ai peut-être négligé de souligner que je parlais des « bons » films d’horreur. Certains rejettent l’idée qu’il puisse y avoir de « bons » films d’horreur, cependant toutes les raisons que l’on m’a présentées jusqu’ici pour ne pas regarder un film d’horreur en tant que chrétien ne s’appliquent pas en soi aux films d’horreur, mais aux films en général.
Par exemple, la glorification de la violence ou de la nudité sont nettement plus présentes dans les films d’action, et avec des représentations sublimées, séduisantes – quitte à cacher l’horreur de la guerre ou de l’exploitation sexuelle ; par contraste certains films d’horreur ont justement plutôt tendance à jouer sur des représentations réalistes du corps et de la brutalité, jusqu’à donner parfois dans le sordide.
Le problème : le film ou le public ?
Au-delà de cet aspect de forme, il y a une question de fond à analyser. Partons d’un commentaire représentatif de l’état d’esprit du public, y compris chrétien :
« Pourquoi regarder un film d’horreur ?
Qu’est-ce qui peut pousser quelqu’un à aller se détendre en se faisant peur ?«
Ou encore :
« il très difficile d’effacer (…) les sentiments provoqués par certains films ou séries télés«
Il y a là une supposition malheureusement répandue, qui est qu’un film est avant tout une occasion de détente et de plaisir, autrement dit, de ne pas réfléchir, d’être purement dans l’émotion gratifiante, sans filtre. Si c’est votre manière d’aborder le cinéma, alors forcément, regarder un film d’horreur ne peut être motivé que par la recherche d’un plaisir malsain. On attend certes d’un film qu’il soit divertissant (et encore, l’ennui a du bon), toutefois le divertissement n’est pas nécessairement une détente sans réflexion. En fait, ce qui est mauvais, c’est d’aborder le cinéma comme un pur divertissement.
Autrement dit, un rapport idolâtre au 7e art fait qu’on peut difficilement regarder un film sans pêcher. Dit comme ça, c’est évident, mais encore faut-il prendre conscience de notre idolatrie. Si adopter une politique stricte sur le visionnage de film peut donc être une bonne tactique, ce n’est fructueux qu’à court terme, car cela deviendrait du légalisme si c’était prolongé ! La vraie solution consiste plutôt à changer son rapport au cinéma.
Plus généralement, le problème est aussi qu’il n’y a pas beaucoup de bons films, tous genres confondus. Cependant les mauvais films d’horreur donnent d’autant plus une mauvaise réputation à ce genre qu’ils abordent des sujets difficiles. C’est comme quand un YouTubeur aborde le sujet du suicide : s’il s’y prend comme une gaufre, cela peut lui coûter sa carrière. Pour autant, ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas parler du suicide sur YouTube.
L’horreur et l’imagination
Une jeune femme avance dans les bois, alors que la nuit tombe. Elle aperçoit un bâtiment abandonné, et s’approche, découvrant une porte sombre. Elle pose la main sur la poignée, la porte s’ouvre en grinçant. A l’intérieur l’obscurité règne. Elle sort un briquet et l’allume pour y voir quelque chose. Rien. Elle fait un pas. La petite flamme luit faiblement. Un deuxième pas. Puis un troisième dans les ténèbres.
Ce qui est intéressant, ce n’est pas que la situation soit tristement classique, c’est que notre imagination peuple cette scène de tous les dangers possibles et imaginables. Autrement dit, nous nous racontons nos propres films d’horreur. Parfois nous n’avons pas même besoin de ce genre de prémices, il suffit de rentrer chez soi tard le soir, ou de se perdre dans un lieu étranger. Nos peurs prennent la forme d’un récit, d’un récit d’horreur. Et si nous ne savons pas interpréter ces récits, alors nous ne savons pas apprécier l’intérêt d’un film d’horreur (et inversement).
Il faut donc interpréter, et tirer des leçons des films d’horreur. En voici quelques unes.
- D’abord, il y a souvent dans les films d’horreur une femme qui dit « Non, ce n’est pas une bonne idée », quand les hommes tiennent absolument à risquer leur vie et celle des autres en prenant des décisions stupides. Le film Alien est, en bref, un récit où Ripley passe son temps à dire cela aux hommes qui l’entourent, et ils l’ignorent, jusqu’à ce qu’elle soit la dernière à survivre. Notre époque gagnerait certainement à écouter les femmes quand elles disent « non », quand elles expriment un sentiment d’insécurité, quand elles détectent un danger.
- De même, il y a souvent dans les films d’horreur un monstre dont la monstruosité est acquise plutôt qu’innée. De Frankenstein à Freddy, les monstres sont aussi des victimes malmenées au point de réagir par la violence. Non pas pour excuser, mais pour contextualiser, et comprendre comment des humains peuvent agir comme des monstres. Ce genre de schéma nous apprend à regarder au-delà de l’horreur à laquelle nous sommes confrontés, pour examiner chez nous ce qui a pu la susciter. Regarder au-delà du 11 septembre, par exemple, et comprendre la part qu’ont joué les gouvernements occidentaux dans le contexte qui a vu émerger quelqu’un comme Ben Laden.
- Enfin, le caractère souvent dissimulé, invisible, du monstre dans l’horreur est ce qui lui donne son pouvoir. Cela nous permet de remplir le vide avec nos propres peurs, de leur donner une forme, et donc de les examiner. Récemment, le film Get Out a brillamment réussi à révéler à une grande partie de la population aux Etats-Unis le mythe inconscient de la société « post-raciale » (et donc post-raciste) dont elle se berçait. Ce faisant, par le récit d’horreur, le mensonge est rendu reconnaissable.
Ce que le chrétien peut apprendre d’un (bon) film d’horreur
Jusqu’ici les réponses « critiques » aux intérêts que j’ai identifié dans les films d’horreur ne semblent pas avoir pris en compte mes arguments, et ont plutôt visé la question de la motivation, que j’aborderai donc dans le présent article. Voici deux raisons pour lesquelles je crois qu’il peut être bénéfique pour un chrétien d’explorer ce genre cinématographique :
- D’abord, parce que Dieu peut utiliser les bons films d’horreur pour nous apprendre à prendre conscience de nos peurs, à y faire face et à les gérer de façon mâture dans la foi,
- Ensuite, et surtout parce que notre apologétique peut s’inspirer des (bons) films d’horreur. Un procédé qui aborde de façon intéressante, critique et pertinente un sujet auquel son public rechigne à être confronté, mais auquel il doit faire face pour son propre bien… ça ne vous rappelle rien ? Notre appel à dénoncer les idoles et à proclamer Jésus peut profiter d’un tel procédé.
Ce qui nous mène à la question suivante.
C’est quoi, un « bon » film l’horreur ?
- Le bon film d’horreur est « authentique », le mauvais film d’horreur est « hypocrite ».
C’est-à-dire que le bon film d’horreur va confronter son public à des questions difficiles, sans forcément de violence ou de gore, mais sans nécessairement fournir de réponse apaisante à la fin. C’est authentique parce que le mal demeure souvent une mystère dans notre vie, et c’est également ce que nous enseigne la Bible. Au contraire le mauvais film d’horreur va se contenter de jouer sur la surprise et le dégoût donner l’impression qu’il aborde des sujets difficiles, mais au final il veut laisser son public avec un sentiment de sécurité, pour rester plaisant et attirer un large public. C’est précisément ce positionnement qui, comme nous l’avons vu, incite le public à rechercher des plaisirs malsains et à aborder le cinéma comme un pur divertissement.
Un bon film d’horreur dénonce ou révèle de manière symbolique le danger d’un aspect de l’humanité ou de la société, et laisse souvent un sentiment final de malaise, de doute, de peur. Tout comme n’importe quelle discussion honnête sur les questions difficiles de la vie : le suicide, l’avortement, la dépression, la solitude, le deuil, etc. Toutes ces questions impliquent d’abord de rejeter le sentiment factice de bonheur, de sécurité, d’espoir que nous plaçons dans des idoles : rationalité, société de consommation, etc. Les bons films d’horreur commencent toujours par un peu d’iconoclasme.
- Le bon film d’horreur est divertissant (sur le plan technique) et profond (sur le plan narratif).
Je ne m’attarderai pas sur le plan technique, car il me semble que c’est le même pour tous les films : jeu d’acteur, éclairage, bande son, dialogues, etc. peuvent être plus ou moins travaillés, et avec plus ou moins de maîtrise, de subtilité, de créativité.
Le plan narratif quant à lui est particulier pour le genre de l’horreur. Il se compose de trois éléments, qui se déclinent chacun sur plusieurs degrés de complexité :
- Le héros, qui peut être vainqueur, perdant, ou se révéler monstrueux.
- Le monstre, qui peut être dissimulé, un miroir du héros ou un aspect intemporel du mal.
- L’environnement, qui peut affaiblir le héros (généralement en l’isolant) ou manifester une horreur passée, résiduelle.
Bien exécutée, n’importe quelle combinaison peut être efficace, même si les éléments plus complexes enrichissent énormément la symbolique de l’oeuvre, et donc sa portée. Ainsi, un film où le héros est vainqueur, le monstre dissimulé et l’environnement affaiblissant aura plus de chances d’être un mauvais film d’horreur ; tandis qu’un film où le héros se révèle monstrueux, où le monstre est un aspect intemporel du mal et où l’environnement manifeste une horreur résiduelle aura plus de chances d’être une bon film d’horreur.
Recommandations
Pour ceux qui sont prêts à tenter l’exercice, parmi les films d’horreur de cette décennie, voici quelques recommandations, qui feront probablement l’objet d’un article dans les temps à venir :
- It follows (2014),
- Babadook (2014),
- Oculus / The Mirror (2013).
Bon (et sage) divertissement à tous !