Le corps, humus sans espoir

. – par Y. Imbert .

Nous vivons, et nous mourons.

C’est un fait indépassable de la vie humaine. Qui que nous soyons, dans ce monde dans lequel nous vivons maintenant, nous vivons et nous mourons. Pour ceux qui voient s’éteindre des proches, que cela signifie-t-il ? Douleur, perte, deuil. Séparation. Dans ce processus de deuil, ce qui arrive au corps de la personne décédée a de l’importance. L’humanité a d’ailleurs toujours eu conscience de cela, d’où l’importance des rites funéraires qui apparaissent très tôt dans l’histoire humaine.

Les deux « rites » autorisés en France sont la crémation et l’inhumation. Mais une autre alternative a fait le titre d’un article du Monde : l’humusation, c’est à dire la transformation du corps en humus1. En d’autres termes, en compost qui servira ensuite à fertiliser la terre, ou même votre jardin. Le site humusation.org indique par exemple qu’il « s’agit d’un processus contrôlé de transformation des corps par les micro-organismes dans un compost composé de broyats de bois d’élagage, qui transforme, en douze mois, les dépouilles mortelles en humus sain et fertile. La transformation se fera hors sol, le corps étant déposé dans un compost et recouvert d’une couche de matières végétales broyées. En une année, l’humusation (…) produira plus ou moins 1,5 m³ de ‘super-compost’ »2. A priori, certains penseraient que ce n’est pas une mauvaise idée… à la rigueur une idée un peu étrange.

La raison principale avancée en faveur de cette disparition du corps – car c’est bien de cela dont il s’agit – est écologique et financière. D’une part, le coût d’un tel procédé est censé être beaucoup moins cher que les alternatives courantes. D’autre part, ce procédé se veut être plus écologique. Pas de dégagement de produits toxiques dans l’air – le problème de la crémation. Pas de transfert toxique de matières dans le sol et dans les nappes phréatiques – le problème de l’inhumation traditionnelle. Et surtout, nous complétons le cycle de la vie ! Nous sommes poussière et nous retournons enfin, littéralement, à la poussière. La mort devient écologique !

Ainsi un témoignage rapporté par la Fondation Métamorphose affirme : « mon corps ne sera pas incinéré en utilisant beaucoup d’énergie »3, concluant qu’il est normal que l’homme retourne à la Terre-Mère. Un deuxième de manière identique : « c’est trop gaspilleur d’énergie et polluant », avant d’ajouter : « J’aimerai que mon passage sur terre encourage l’humanité d’évoluer vers plus d’harmonie, plus de justice dans l’amour universel. »4 Derrière l’humisation, on peut voir des motivations qui semblent louables : soucis de ce qui arrive à la planète, désir de préserver cette dernière.

Mais comme très souvent, ce sont les commentaires des internautes qui sont les plus intéressants. Quelqu’un dit par exemple : « La matière organique est trop précieuse pour l’enfouir en profondeur au risque de polluer les nappes ou la bruler avec gaspillage d’énergie et production de co2 le minimum est de laisse le libre choix à chacun, le corps n’est que des vieux habits qui après avoir servi une vie peuvent encore être utiles à faire pousser un arbre je ne vois pas en quoi il y aurait moins de respect à se décomposer par compostage que par putréfaction ou carbonisation il faut savoir évoluer avec son temps »5. Qu’est-ce que le corps humain ? De la matière organique.

Perso, le futur de mon cadavre, je m’en contrefiche

Une autre internaute dit ceci : « Réintégrer la mort dans le circuit de la vie est justement respecter l’homme. Vos convictions religieuses personnelles n’ont pas à bloquer le souhait de personnes, comme moi, souhaitant intégrer le cycle de la vie, comme tous les autres animaux. »6 Ou encore : « Perso, le futur de mon cadavre, je m’en contrefiche. Alors si ça peut faire pousser des salades ou n’importe quoi d’autre, tant mieux. »7 Ce qui me frappe c’est l’attitude désinvolte envers notre corps. Il n’a rien à voir avec notre personnalité.

D’ailleurs cette attitude se voit aussi dans l’objectif principal avancé par la Fondation Métamorphose est de « donner du sens à l’après-vie », en particulier en « réduisant son empreinte écologique, c’est ce que permet, entre-autres, cette nouvelle pratique funéraire, l’humusation, basée sur la permaculture. Pour un départ vers une nouvelle vie »8. Mais le corps n’a lui aucune importance. Quoique le sens de l’au-delà soit… le corps n’a aucune importance !

D’ailleurs, ce rejet de l’importance de la corporalité est assez présent dans les discussions éthiques, de l’avortement aux théories du genre, en passant par le transhumanisme. Cela fait partie de notre culture. C’est totalement paradoxal dans une société obsédée par le corps… en tous cas tant qu’il est vivant ! Recherche du plaisir du corps, soin obsessif du corps : nous ne pensons qu’à de dernier. Et dès qu’il cesse de vivre, il perd toute valeur, comme s’il n’était qu’un instrument, une enveloppe que nous habitions. Dans notre culture, ce qui fait notre humanité, ce n’est pas que nous avons corps, mais que nous sommes des personnes. Et notre personnalité n’a absolument rien à voir, avec le fait que nous ayons un corps. Et comme ce dernier n’a vraiment aucun sens, nous pouvons en disposer comme nous le voulons, et nous pouvons aussi le modifier à volonté9. Et le détruire selon notre bon plaisir…

Cette nouvelle théorie de la personnalité « tire ses racines, en partie, de philosophies déniant le monde, telles que le manichéisme, le platonisme et le gnosticisme, qui toutes dénigraient le monde matériel en tant que royaume de la mort, de la décomposition et de la destruction… »10. Cette vue de la personnalité déchire la nature humaine en deux : le corps et l’esprit (ou l’âme). Nous revenons vers ce grand problème de la philosophie : l’humain est-il « pensée » ou « corporalité » ? Faut-il radicalement distinguer les deux ? C’est en tous cas ce qui se passe ici.

L’humusation est en fait une manière de redonner du sens à la mort

Mais si le corps n’est pas lié à notre personne, comment dire ce qu’est la personne humaine ? Sa conscience, sa volonté ? Peut-être. Mais ce qui m’étonne c’est que dans un monde matérialiste, il soit si facile de penser que le corps n’a pas d’importance. Si la réalité était vraiment uniquement matérielle, alors le corps ne devrait-il avoir une importance ? Sinon comment expliquer ce que sont la volonté et la conscience humaines ? Dans une vision matérialiste, ces deux dimensions de notre personnalité sont matérielles et donc nécessairement liées à notre corps ! Sinon… nous ne pouvons donner aucun sens au corps ou à notre personnalité. Il y a quelque chose d’assez incroyable à voir que nous avons parfois une telle facilité à désespérer de trouver un sens au monde.

Car en fin de compte, l’humusation est en fait une manière de redonner du sens à la mort. Nous ne la comprenons pas. Elle est tragique, elle n’a pas de sens. Alors donnons-lui en un : le corps, ce truc qui ne sert à rien une fois mort, peut donner la vie. Il peut servir à quelque chose. C’est une tentative supplémentaire de l’homme d’effacer ce qui lui est impossible de dépasser : la mort n’a pas de sens… et elle nous laisse sans espoir. Sauf si nous trouvons un moyen de rendre la mort, et donc le corps, utile. Et donc la mort perd son emprise. Bien sûr un tel espoir est mince. Même en réduisant le corps à un humus fertilisant et « donnant la vie », rien n’est enlevé au pouvoir de la mort. C’est elle qui a le dernier mot. Nous mourons. Tous.

La foi chrétienne, quant à elle, donne une espérance à l’être humain, et surtout elle est la seule à pouvoir enlever à la mort son pouvoir. Jésus-Christ est venu, à l’intérieur de la mort même, lui retirer son pouvoir. De la profondeur de la tombe et de la mort, Christ est venu briser la mort qui n’a pas pu le retenir, ce qui conduit l’apôtre Paul à cette grande parole d’espérance qui est pour tout notre être : « O mort, où est ta victoire ? O mort, où est ton aiguillon ? » (1 Corinthiens 15.55) Et quand je dis cela, je veux vraiment dire que c’est une espérance pour tout l’être humain : corps et âme. L’espérance chrétienne que nous décrit la Bible s’adresse à notre être entier !

Je voudrais rappeler un passage de la main de l’apôtre Paul. Dans sa lettre à l’église de Thessalonique, il écrit : « Nous ne voulons pas, frères, que vous soyez dans l’ignorance au sujet de ceux qui se sont endormis dans la mort, afin que vous ne vous attristiez pas comme les autres, qui n’ont pas d’espérance. En effet, si, comme nous le croyons, Jésus est mort et s’est relevé, alors, par Jésus, Dieu réunira aussi avec lui ceux qui se sont endormis. Voici en effet ce que nous vous disons — c’est une parole du Seigneur : nous, les vivants qui restons jusqu’à l’avènement du Seigneur, nous ne devancerons en aucun cas ceux qui se sont endormis. Car le Seigneur lui-même, avec un cri de commandement, avec la voix d’un archange, avec le son de la trompette de Dieu, descendra du ciel, et ceux qui sont morts dans le Christ se relèveront d’abord. » (4.13-16 )

Le corps humain a une vraie importance. Ce que nous en faisons, même dans la mort, a une importance. Comme quelqu’un l’a bien vu : « Tout dans cette description nous dit d’honorer, de préserver, voire même de dédier un terrain aux corps de notre famille et de nos amis bien-aimés qui sont décédés, et qui sont spirituellement avec Christ, dont les corps restent en union avec Christ même dans la grâce, et qui attendent leur résurrection dans la gloire à l’aube d’une nouvelle et éternelle époque de retour de Jésus. »11 Cette honneur et ce soin accordés au corps sont intimement liés à l’espérance que nous avons : espérance pour une vie après la mort physique. Espérance pour le corps. Espérance pour tout notre être.

« Qu’est-ce qui arrive à mon corps quand je meurs ? », demande l’association Recompose, qui milite aussi pour l’humisation.

La foi chrétienne répond : notre corps attend la restauration finale de toutes choses, lorsqu’il sera lui aussi relevé, vivifié pour l’éternité. La foi chrétienne a toujours favorisé l’inhumation par symbole d’espérance. Le corps attend la plénitude de la rédemption : Christ reviendra pour rendre corps à tous ceux qui auront trouvé leur espérance en lui. Notre corps fait partie de ce que Dieu veut restaurer parce que notre corps est important à ses yeux !

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Notes :

1Pierre Bouvier, « Le compost humain, une solution pour réduire l’impact environnemental de la mort ? », 15 mars 2019, Le Monde, http://www.lemonde.fr, consulté le 4 mai 2019.

2« L’humusation: ‘donner la vie après sa mort en régénérant la terre’ », http://www.humusation.org, consulté le 4 mai 2019.

3« Témoignage de Joseph Orszagh », http://metamorphoseproject.wordpress.com, consulté le 4 mai 2019.

4« Témoignage de Guy S. Basyn », http://metamorphoseproject.wordpress.com, consulté le 4 mai 2019.

5Pierre Bouvier, « Le compost humain, une solution pour réduire l’impact environnemental de la mort ? », 15 mars 2019, Le Monde, http://www.lemonde.fr, consulté le 4 mai 2019.

6« Le compost humain, une solution pour réduire l’impact environnemental de la mort ? », 15 mars 2019, Le Monde, http://www.lemonde.fr, consulté le 4 mai 2019.

7« Le compost humain, une solution pour réduire l’impact environnemental de la mort ? », 15 mars 2019, Le Monde, http://www.lemonde.fr, consulté le 4 mai 2019.

8Fondation Métamorphose, http://metamorphoseproject.wordpress.com, consulté le 4 mai 2019.

9Louis Markos, « Review of Nancy Pearcey, Love Thy Body », février 2018, http://www.reformation21.org, consulté le 4 mai 2019.

10Louis Markos, « Review of Nancy Pearcey, Love Thy Body », février 2018, http://www.reformation21.org, consulté le 4 mai 2019.

11Richard D. Phillips, « What Should Christians Think about Cremation? », mai 2016, http://www.reformation21.org, consulté le 4 mai 2019.

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Yannick Imbert est professeur d’apologétique à la Faculté Jean Calvin à Aix-en-Provence.

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