Oculus : vaincre le mal à l’époque des fake news

– par Vincent M.T.

Je parlais récemment de ce qui faisait un « bon » film d’horreur. Oculus est un parfait exemple. C’est un excellent film, parce qu’il est très bon sur le plan technique  (jeu d’acteurs, rythme, bande son, lumières, etc.), et c’est aussi un excellent récit d’horreur, parce qu’il travaille le plan symbolique de façon minutieuse et efficace.

Oculus, c’est l’histoire d’une jeune femme et son frère qui essayent de détruire un miroir. Pourquoi ? Parce qu’ils le croient hanté. Et ils le croient hanté parce que, dix ans plus tôt, leurs parents sont devenus fous et meurtriers peu après que le miroir ait été installé dans leur maison. Après avoir tenté de trouver de l’aide et de détruire le miroir – en vain – les enfants réussissent à s’enfuir, mais les parents périssent. Le frère est interné en asile psychiatrique, où il apprend à réinterpréter ce qui s’est passé : le miroir n’avait rien à voir là-dedans, c’est le père qui avait de graves problèmes psychologiques. La soeur quant à elle reste convaincue que le miroir est malveillant, elle retrace son historique et découvre de plusieurs morts inexpliquées. Lorsque son frère est libéré, elle l’embarque dans sa vendetta : elle veut prouver que le miroir est responsable de ce qui est arrivé à sa famille, et le détruire.

Miroir miroir

Lorsqu’un film a de la profondeur, il ne dicte pas nécessairement un message précis, mais il évoque et dévoile une réalité. Il oeuvre à partir de thèmes fondamentaux, les exprime et cela nous stimule, parfois sans que nous en ayons pleinement conscience. C’est ce qui fait qu’un film « résonne » de vérité.

Ici, en premier lieu, le récit est construit… « en miroir ». Il alterne régulièrement entre l’affrontement du miroir par les deux protagonistes à l’âge adulte et dans leur enfance. Au fur et à mesure que – aux dires de la soeur – le miroir étend son influence maléfique, les transitions se brouillent, si bien qu’on ne sait plus s’il s’agit de souvenirs ou d’hallucinations. La trajectoire du présent s’aligne peu à peu sur celle du passé, les mêmes scènes se répètent et se combinent.

Ce ressort narratif qui nous indique que le miroir est symbolique : ce n’est pas juste un film sur un miroir hanté, c’est un film sur quelque chose qui hante notre réalité et fait que les mêmes situations se répètent. De quoi s’agit-il ?

Pour le déterminer, il faut reprendre les stratégies passées et présentes mises en place par les protagonistes. En effet, leurs parents ne sont pas devenus fous du jour au lendemain, et les enfants ont tenté de résister à la dégradation de leur situation, tout comme la soeur a prévu de résister à l’influence du miroir dans le présent.

Lorsqu’ils s’inquiètent pour la santé de leur mère, ils appellent un docteur, qui leur dit « Demande à ton père d’appeler ». On peut comprendre qu’un docteur suspecterait une blague de la part d’enfants. Pourtant, ils appellent un autre docteur, et la même voix leur délivre exactement la même réplique. Plus tard, les enfants appellent le voisin, qui vient frapper à la porte. Evidemment, le père intervient et convainc le voisin que les enfants ont une imagination débordante, puis lui rappelle leur rendez-vous dans la semaine pour une partie de golf.

Autrement dit, l’autorité est complice de l’oppression, et le système ne permet pas d’en sortir. Particulièrement quand ce système est patriarcal. En effet, comme la soeur est l’aînée, c’est elle qui prend toutes les initiatives, et on remarque que c’est elle qui est tournée en dérision. Le voisin glisse une commentaire du type : « Attend un peu qu’elle soit ado, tu verras comme elle sera difficile ». Le frère, qui avait promis à sa soeur de ne jamais oublier la vérité, s’est laissé convaincre par l’institution médicale (représentée par un docteur) qu’il avait tout imaginé et que sa soeur, « laissée à elle-même », sans aide psychologique, risquait d’avoir une mauvaise influence sur lui. Tout est fait pour l’isoler et la discréditer.

Autorité et abus

Ces structures sociales, ces institutions, existent pour nous fortifier en tant que société. Sans confiance envers nos voisins, les autres adultes, les professionnels, les institutions, nous risquerions la barbarie, le chaos, la guerre civile. C’est un thème souvent exploré dans les films de zombie : comment, en partant de cette « état de nature » où tout le monde est potentiellement l’ennemi de tout le monde, on établit une forme d’autorité à qui on reconnaît le droit d’employer la force ; comment on la légitime, et comment elle peut devenir injuste. Nous avons un intérêt certain à ce que ces structures fonctionnent, alors nous voulons croire qu’elles fonctionnent. Au point de nous voiler la face quand elles dérapent.

Et pourtant, comme dans le récit du miroir hanté, femmes et hommes en sont finalement victimes. Les hommes ne sont pas plus gagnants pour avoir été en position d’oppresseurs. Nous voulons croire que tout va bien, que le mal a fui notre société bien organisée – ou en tous cas qu’il existe à la marge, dans les recoins. Cependant le mal persiste et se cache au sein même de notre organisation. On sait que les institutions – élus, police, corps médical ou enseignant, services sociaux, etc. – abusent, souvent un peu, parfois beaucoup, de leur autorité.

La soeur tente d’y voir plus clair. Elle élabore tout une stratégie pour confronter le miroir à des mesures objectives, pensant avoir trouvé quelque chose qui échappe à son influence. Par une sorte de méthode scientifique et journalistique, elle veut contrôler ce qui se passe et ce qui se dira des événements. Si elle arrive à convaincre son frère que le miroir est bel et bien hanté, son succès s’arrête pourtant ici. Pourtant, ses belles préparations ne lui confère pas plus de contrôle que lorsqu’elle était enfant.

Elle échoue parce que le miroir leur donne des hallucinations : ils ont l’impression de fuir la maison alors qu’ils sont en train de déambuler comme des zombies juste devant le miroir. Autrement dit, leur perception de la réalité est sous contrôle, et les spectateurs y voient à peine plus clair. On sait ce qui se passe au début et à la fin du film, mais pour l’essentiel, nous voyons ce que le miroir veut montrer. Or, ce n’est pas un hasard si ses préparatifs de la soeur ressemblent à une enquête journalistique. Cela évoque l’idée que les media (la caméra, les écrans) sont censés servir de garde-fous sociétaux pour détecter et dénoncer les abus, mais au final le miroir contrôle les humains qui dirigent la caméra. Peu importe les consensus scientifiques, les reportages, les études statistiques, si de puissantes entités peuvent contrôler la perception du grand public, ces éléments sont sans effet. Et cette lutte est incarnée aujourd’hui par les « fake news », la désinformation, qui mine le principe même de la « source sûre » d’information. On ne sait plus qui, ni quoi, croire.

On remarque même qu’une fois mortes, les victimes apparaissent dans et autour du miroir, faisant sa volonté. Leurs yeux semblent d’une matière argentée et réfléchissante. En termes surnaturels, non dirait que leurs âmes sont prisonnières. En termes symboliques, ils sont désormais esclaves du système oppressif, ou bien leur image et leur mémoire est récupérée, instrumentalisée pour servir ses desseins.

Ici et maintenant

Nous observons tous le mal. Il est indéniable, il hante notre réalité. Nous aussi, nous herchons les « lentilles », les cadres qui nous permettront de le voir clairement, le dénoncer : la tradition, le féminisme, la science, la superstition, la gauche, la droite… pensant que si nous trouvons la bonne formule, la bonne combinaison, nous pourrons supprimer les horreurs de notre existence. Mais nous n’avons pas autant de contrôle que nous le voudrions. Nos perceptions sont malléables et faussées. Nous sommes happés par ce mal que nous voulions détruire.

Nous observons tous le mal. Et il est plus proche que nous n’aimons le voir. Impossible de garder les yeux ouverts sans espoir de victoire. Impossible de lutter sans être certain de ses armes. Nous tous, moi le premier, préférons l’anesthésie morale de l’ignorance relative. C’est plus simple, c’est moins terrifiant.

Et pourtant, autrefois, quelqu’un a « exorcisé le miroir ». Il a accompli l’impossible, l’inadmissible, l’irrépressible. Différents camps ont cherché à s’emparer du récit pour raconter les événements à leur manière, en vain. Ses actes ont enflammé le monde entier. Pourquoi ? Parce qu’il est la vérité, et que sa vérité libère.

Beaucoup de ceux qui ont repris le nom du Christ au cours de l’histoire servaient pourtant le miroir. Aujourd’hui encore, le miroir cherche à le décrédibiliser, le relativiser, car c’est le seul ennemi qui l’ait jamais vraiment vaincu, en dénonçant son absurdité.

Mieux encore, Jésus nous a légué un autre miroir, qui nous libère de l’emprise des illusions – aussi déplaisant que soit le reflet que nous puissions parfois y trouver. Contre le miroir déformant du mal, Jésus nous donne un miroir réformant : sa parole.

Elle agit comme un révélateur, au point que ses premiers disciples écrivaient : si quelqu’un écoute la parole et ne la met pas en pratique, il est semblable à un homme qui regarde dans un miroir son visage naturel, et qui, après s’être regardé, s’en va, et oublie aussitôt quel il était. Mais celui qui aura plongé les regards dans la loi parfaite, la loi de la liberté, et qui aura persévéré, n’étant pas un auditeur oublieux, mais se mettant à l’oeuvre, celui-là sera heureux dans son activité. – (Épître de Jacques 1.23-25).

Contre la confusion du mal, la parole qui libère – pour de vrai.

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Cet article est en partie inspiré de « Oculus Interpretation » par Eric Schulte, auteur à Ruthless Reviews.

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