Les jeux de rôles (1) : faut-il s’abstenir ?

– par Vincent M.T.

Les jeux de rôle font leur grand retour depuis quelques années. Controversés lors de leur popularisation dans les années 80, oubliés dans les années 90 et ayant timidement refait surface dans les années 2000, leur essor actuel touche et ravive plusieurs générations de joueurs. Pour certains, c’est même un élément qu’il est possible de mettre en valeur sur un CV. C’est dire.

Seulement voilà, les jeux de rôle ont mauvaise réputation chez les chrétiens. Ou en tous cas chez une certaine frange chrétienne, qui associe cela au mieux à une fuite du réel, au pire à une activité satanique.

Ce n’est pas nouveau. Les chrétiens ont, au cours de l’histoire, souvent eu du mal avec tout ce qui a trait à la fiction – dans l’antiquité c’était le théâtre, il y a eu presque de tous temps la littérature, puis le cinéma au 20e siècle, et enfin au tournant du millénaire les jeux de rôle et les jeux vidéos. Cette méfiance de la fiction est en partie due au fait que la fiction engage et focalise la pensée, lieu de formation des intentions, des désirs, des intérêts. Si elle est mal orientée, on craint que toute la personne soit entraînée dans le mauvais sens.

Autrement dit, « faire semblant » d’être quelqu’un d’autre, c’est consacrer sa pensée à agir comme ce personnage agit – or dans les jeux de rôle, n’est-il pas question de meurtres, de vols, de tromperies, et autres actes éloignés de l’éthique chrétienne ? Sans parler de la mise en scène de la magie… Tout comme de « jouer à la guerre », cela entraînerait une certaine mentalité jusque dans la vie réelle.

Dieu aime la fiction

Je ne partage pas l’avis des contestataires chrétiens vis-à-vis de la fiction, car il y a un monde (littéralement) entre envisager un crime et faire semblant d’être quelqu’un qui envisage ou commet un crime. C’est une capacité humaine élémentaire qui s’appelle le recul. C’est d’ailleurs une bonne chose de le développer, surtout à notre époque où le règne de l’immédiateté (notamment sur les réseaux sociaux) nous prive parfois du meilleur de nous-même : plutôt que de juger dans l’emportement, le recul permet entre autres d’arriver au doute, à l’empathie, à la clémence. D’autant que le recul sur soi est une des marques de notre création à l’image d’un Dieu trinitaire. Cette capacité de recul nous permet de faire la différence entre le réel et le virtuel, et c’est ce qui fait que l’on n’a pas à craindre l’influence potentielle de la fiction.

Et ce n’est pas moi qui le dit, c’est Dieu. Ou plutôt, Il le montre.

Par exemple, au 28e chapitre du livre de l’Exode, Dieu commande à Moïse de solliciter les meilleurs artisans, qu’Il a lui-même divinement inspiré pour l’occasion, afin de créer un costume pour son Grand Prêtre Sacrificateur, Aaron. Plutôt important et sacré, comme ouvrage. Et bien, il est indiqué au verset 33 que sur le pan inférieur de la robe du prêtre, Dieu demande que l’on couse, entre autres, des grenades bleues. Notez que les grenades bleues, ça n’existe pas. C’est de la fiction, et c’est inoffensif. Mieux encore, c’est sacré ! Aaron ne s’est pas mis à chercher de grenades bleues, ni, par extension, à adorer Satan. Ça n’a aucun rapport ? Nous sommes bien d’accords.

Autre exemple, aux chapitres 37 à 50 de la Genèse, Joseph est confronté à trois paires de rêves étranges qui se ressemblent. Les deux premiers, ceux de Joseph, reçoivent la même interprétation, et il en va de même pour les deux derniers, ceux du Pharaon. Pourtant, les rêves des deux prisonniers, malgré leurs parallèles frappants, reçoivent de Joseph, l’un une interprétation littérale et l’autre une interprétation symbolique. Il semblerait donc que malgré des formes très similaires, il faut apprendre à faire la distinction entre le littéral et le symbolique dans un univers de fiction (ici, celui du rêve).

Je ne dis pas qu’il n’y a aucun danger, et donc aucune vigilance à avoir, mais sur la base de la théologie biblique et de mon expérience, je peux affirmer qu’il n’y a pas dans le jeu de rôle un danger plus grand ou plus sérieux que dans n’importe quelle autre activité culturelle. Au contraire, c’est une activité qui peut pleinement participer à une vie sain(t)e et équilibrée. J’irai même jusqu’à dire que ça peut être un expression légitime de notre vocation humaine. Rien que ça.

À vos préjugés, traitez-moi d’hérétique dans 3, 2, 1…

Ce n’était qu’une question de temps. Après avoir abordé Magic : l’Assemblée et les jeux vidéos, je devais inévitablement finir par faire mon coming-out de rôliste. Pire : de « maître du jeu ». Non content de simplement m’adonner à cette activité, j’en suis l’instigateur. Et surtout, j’ose soutenir que c’est parfaitement acceptable devant Dieu.

Blague à part, je remarque que de nombreux chrétiens sont attirés par les jeux de rôles sans nécessairement en mesurer le potentiel – en positif ou en négatif. Quelque part, c’est tout à leur honneur, parce qu’on n’a pas besoin de théoriser toutes nos activités, surtout le jeu. Moi ? C’est juste que je ne peux pas m’en empêcher.

Étant animateur d’un groupe de jeu de rôles depuis un an, j’ai donc voulu ici expliquer pourquoi et comment je joue à des jeux de rôle. Bien qu’étant principalement joueur-organisateur de ces jeux, je donnerai aussi des éléments qui concernent les joueurs-participants.

Cette manière de nommer les deux types de joueurs souligne d’ailleurs déjà un aspect de mon approche : il n’y a pas un maître du jeu « producteur gourou » d’un côté et des joueurs « consommateurs divertis » de l’autre – tout le monde joue, et j’implique autant que possible les joueurs-participants dans la conception du monde au sein duquel nous mettons en scène nos récits partagés. La collaboration et l’imagination collective sont au coeur de notre démarche, et ce n’est pas une innovation d’un petit groupe de chrétien, c’est déjà quelque chose de répandu parmi les « rôlistes », comme on les appelle.

Dans les semaines qui suivent, je vais donc tenter de répondre à plusieurs questions clefs sur ce sujet, notamment :

  • Pourquoi jouer ?, où j’aborderai les inquiétudes les plus courantes sur les jeux de rôle, et où je proposerai cinq bonnes raisons d’y jouer (spoiler : l’une d’elles, c’est l’apologétique !)
  • Comment jouer ?, où j’indiquerai quels principes bibliques peuvent être suivis pour réfléchir le cadre et le fond du jeu, en termes de narration et de mécanismes. J’en profiterai pour donner des exemples tirés des parties que j’anime moi-même.
  • Où jouer ?, et ce sera l’occasion de découvrir les initiatives, projets et associations menés par des chrétiens pour développer le jeu de rôle.

D’ici-là, à bon lecteur, salut !

3 comments

  1. Chouette, hâte de lire la suite 🙂
    J’ai aussi pas mal réfléchi et un peu écrit sur cette thématique, et plus particulièrement sur le grandeur nature, étant joueur.
    Avec un petit groupe de potes chrétiens qui commencent même à s’agrandir, on est présent sur quelques GN tout au long de l’année histoire qu’il y ait aussi des chrétiens dans ce monde là et qu’on prenne aussi un peu de plaisir à jouer ensemble !

    Bonne fin de semaine !

    1. Bonjour, et merci pour ce commentaire encourageant. Le prochain article sort ce jeudi, j’espère qu’il stimulera votre imagination à tous et que ce sera l’occasion d’approfondir la joie du jeu en la sanctifiant.

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