– par Yannick I.
.
Vinland Saga, c’est une épopée de vengeance et de sortie de l’innocence. C’est vrai : Vinland Saga, c’est un récit de vengeance, avec toute la violence qui vient avec une épopée viking. Après tout, qu’attendre de deux bandes vikings se jetant à la gorge l’une de l’autre… pour la simple gloire du combat et le festin du Valhalla.
Mais si ce n’était que cela, il n’y aurait pas grand chose à dire de cet anime… Ce serait ne rien voir d’autre que ce résumé sommaire focalisé sur le seul thème de la vengeance. Ce serait ignorer de nombreux autres thèmes qui ponctuent la saga : l’honneur, la mémoire, la justice, le mal. Ce serait ignorer l’original quasi parfait de Makoto Yukimura, auteur de Planètes (ΠΛΑΝΗΤΕΣ), ainsi que la réalisation de Shūhei Yabuta.
Vinland Saga a remporté le 13e Grand Prix du Japan Media Arts Award dans la catégorie « Manga » et le 36e Prix Kodansha Manga du meilleur manga. en résumé, Vinland Saga, c’est du lourd !

Le jeune Thorfinn, six ans, est fils de l’un des plus grands guerriers vikings, reconvertit au travail de la terre, Thors. Problème : son père a fuit l’armée. C’est un déserteur. Dans une société qui exalte la mort héroïque au combat, même dans un combat perdu d’avance, « Thors » ne peut qu’être synonyme de lâche.
Quand une nouvelle coalition viking prépare à envahir une nouvelle fois les côtes anglaises, Thors est réintégré (un peu de force) à l’armée. Mais vu son passé (la légende et le lâche), c’est un personnage embarrassant dont Askeladd, chef d’une imposante bande de mercenaires, a décidé de se débarrasser… un peu par traîtrise. Thors est mort.
Thorfinn va alors se jeter corps, et surtout âme, à la poursuite de sa vengeance et suivre la troupe d’Askeladd. Mais à la première occasion venue, en pleine nuit, Thorfinn hésite : il n’y a aucun honneur à tuer un homme sans défense. Même la vengeance demande une certaine justice. Et la justice demande un duel, face à face.
Thorfinn s’intégrera à cette joyeuse troupe meurtrière, patientant, s’entraînant… attendant le bon moment. Mais le bon moment ne vient pas facilement. Plusieurs fois, Thorfinn lance un duel à Askeladd, mais ce dernier ne va jamais jusqu’au bout : il ne tue pas Thorfinn parce que ce dernier n’est pas prêt. Comme Thorfinn, Askeladd est un homme d’honneur (enfin, quand il peut se le permettre). Il n’y a rien à gagner à entrer dans le Valhalla en tuant un jeune garçon clairement incapable de se battre !
Petit à petit Thorfinn prend sa place dans la bande de mercenaire, en devenant l’un des meilleurs guerriers.
Jusque-là… nous ne sommes qu’au prélude. Les pièces sont posées, les personnages ont été introduits. L’anime peut vraiment commencer.

Un jour Askeladd apprend que le prince danois Canute a été pris en otage par le chef de guerre Thorkell. Il met en place un plan assez ambitieux pour récupérer Canute, le ramener à son roi de père, et pousser Canute sur le trône tout en le contrôlant.
Là s’arrêtent les spoilers.
Au début du « cycle de Canute » (ép. 9-24), le prince danois est un jeune homme de foi. Une foi qui doute, une foi qui questionne, c’est vrai. Quoi d’autres dans les circonstances qui sont les siennes ? Mais on nous le montre comme étant un de ces « chrétiens » qui adorent un dieu faible et… mort.
Bien sûr, cette foi est distante, abstraite. C’est le plus souvent une foi qui est montrée à travers une attitude de prière pieuse… trop pieuse peut-être. Prière froide dont les mots ne trouvent aucun écho chez ceux qui l’entendent.
L’épisode 18, « Out of The Cradle, » est le point pivot de l’anime. Méditant sur le sens du mal et l’espoir que l’homme peut avoir, Canute en vient à une conclusion dramatique. Dieu est sadique. Tout ce qu’il veut, c’est tester les hommes. Le meurtre des parents de Thorfinn : un test de Dieu. L’assassinat d’un village entier : un test de Dieu. Le viol et l’éviscération d’une population entière : un test de Dieu. Aller de guerre en guerre : un test de Dieu. La douleur, la violence, le mal : un test de Dieu.
Chez les chrétiens, cette perspective qui voit le mal comme étant un instrument de Dieu peut être qualifiée d’explication pédagogique du mal. Qu’est-ce que le mal ? Pourquoi nous arrive-t-il ? Pourquoi Dieu laisse-t-il faire? Pour Canute, c’est parce que Dieu teste les hommes par cela.

Je pourrais vous dire que ce n’est pas le cas. Que Canute est totalement à côté de la plaque. Mais ce n’est pas tout à fait le cas. Cette explication pédagogique fait bien partie de la vision biblique du monde. Mais la version de Canute est une version bien simpliste et pervertie qui fait de Dieu un marionnettiste 300% sadique qui n’a rien trouvé de mieux pour nous tester que de nous infliger les pires douleurs et tortures.
D’un tel dieu, personne ne voudrait !
Mais alors que dire de cette « pédagogie » du mal ? Pour certains théologiens, Dieu utilise le mal afin de nous faire grandir dans la foi, afin de « former notre âme. »
Ainsi, le mal ne conduit pas seulement à mieux nous connaître et mieux connaître Dieu. Cela nourrit aussi notre relation avec les autres. Par exemple, la douleur de la faim devrait transformer notre âme et nous pousser à la compassion envers ceux qui en souffrent.
Cette explication (souvent associé au théologie Irénée de Lyon) ait partie du grand débat philosophique sur le mal. D’ailleurs, même la BBC a une idée de ce qu’est cette théorie d’Iréenée !
Malgré son importance historique et philosophique, cette explication souffre d’un problème majeur : elle ouvre grande la porte à la version canutienne. Dieu est sadique. Il souhaite nous infliger le mal. Il désire nous soumettre à la douleur. Il le veut, parce qu’il s’en sert en notre faveur.
[Autre version : Dieu est impuissant. Le mal existe ; Dieu « fait avec »… et donc oui, nécessairement il utilise le mal pour nous enseigner des choses. Mais c’est parce qu’il ne peut pas faire autrement.]

Deux problèmes.
Le premier, c’est que cette explication pédagogique peut donner l’impression que Dieu crée le mal pour l’utiliser ensuite pour notre bien. Très rapidement, cela peut « glisser » vers une légitimation du mal. Finalement, Dieu en a besoin, et le mal est nécessaire. Or dans la Bible, ce n’est jamais le cas : le mal n’est pas nécessaire et Dieu n’en a pas besoin. Que Dieu s’en serve : oui. Qu’il le désire : non. Pour Dieu, ce qui est mal est et demeure mal. Et ce n’est pas parce qu’il peut faire advenir quelque chose de bien d’un évènement mauvais que le mal est justifié/légitimé !
La Bible nous présente toujours un Dieu de bonté et de justice, un Dieu qui défend la cause des opprimés, qui exige la compassion pour la veuve et l’orphelin, et qui ne supporte pas la vue de l’oppression. C’est ce même Dieu qui peut transformer, parce sa bienveillance toute-puissante, les évènements les plus tragiques.
Le deuxième problème, c’est que cette explication pédagogique ne met pas assez l’accent sur une chose essentielle. La pédagogie de Dieu n’a de sens que pour ceux qui font partie de son peuple. Laissez-moi prendre un exemple. Toute famille a son mode de vie, ses règles, sa manière de faire… en d’autres termes, sa pédagogie. Toute famille a une manière un peu différente de régler les différends, l’éducation des enfants, etc.
Parfois même la pédagogie d’une famille semble étrange pour les autres. De l’extérieur, on peut vraiment se dire : « C’est du grand n’importe quoi ! » Cette réaction vient en partie du fait que nous ignorons le dévouement des parents, que nous n’observons pas l’amour du père, que nous ne sommes pas an bénéfice de l’attention pleine de grâce des parents. Seule la famille vit cela.
C’est un peu la même chose avec cette explication pédagogique. Est-ce que d’une chose qui est clairement mauvaise, Dieu peut faire venir pour ceux qui espèrent en lui, quelque chose de bon ? Oui. C’est une affirmation régulière de la Bible. L’apôtre Paul le dit par exemple dans sa lettre à l’église de Rome : « Nous savons que toutes choses contribuent au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qu’il a appelés selon son plan. » (Romains, chapitre 8, verset 28).
Toutes choses contribuent au bien… au bien de… de qui ? De ceux qui aiment Dieu, de ceux qu’il appelle selon son plan.
Si vous lisez ces lignes et que vous ne savez pas quel est ce plan, quel est cet appel, je vous encourage à lire la Bible, et puisque je citai la lettre de Paul aux Romains, je vous encourage à la lire, en particulier le chapitre 3. Dans un monde de mal et de violence, dont nous sommes souvent les auteurs ou instruments, il y a une espérance :
Oui, Dieu dans son amour et sa bonté peut « renverser » le mal et l’utiliser pour le bien de ceux qui trouvent en lui leur joie et leur espérance.
Dans un monde dans lequel le mal fait rage, approchez-vous de lui !
.
.
Yannick Imbert est professeur d’apologétique à la Faculté Jean Calvin à Aix-en-Provence.
.