– par Y. Imbert
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J’ai longtemps hésité à écrire sur ce sujet. « Ce sujet »… comme si nous devions craindre de dire quelque chose. Quel sujet ? Le racisme ? Non. Parce que sur ce sujet-là il n’y a pas de doutes : tous les êtres humains ont la même dignité, la même valeur.
Quel sujet ? La racisme aux États-Unis ? Non plus. J’hésiterai bien à commenter sur un pays et un culture que je ne connais pas bien et qui est culturellement et politiquement très divisée en ce moment. Surtout avec les élections dans quelques mois.
Le sujet sur lequel j’ai longtemps hésité à écrire, c’est le « racisme systémique ». D’ailleurs je ne suis peut-être pas la personne la mieux placée pour le faire. Mais peut-être est-ce alors le bon moment de dénoncer toutes les manières dont la société française a profité de l’esclavage. J’entends dire que « le silence, c’est la violence »… D’accord. Mais alors si nous prenons la parole, si nous dénonçons une injustice ont la société occidentale a profité… faisons-le totalement. Faisons-le pour toutes les injustices majeures de notre monde.
Laissez-moi commencer par dire qu’il est assez certain que le développement des sociétés occidentales a bénéficié de l’économie de l’esclavage. Et il ne s’agit pas que des États-Unis. Il s’agit aussi de nombreux pays Européens qui n’ont peut-être pas grand chose à apprendre à nos amis américains pour ce qui est de la violence à l’encontre des personnes d’autres origines – ou d’autres couleur de peau.
Même si nous avons dépassé la période active de l’esclavage depuis un « certain » temps, le développement social et économique de la France s’est fait à travers des attitudes et convictions inacceptables. Si le « racisme systémique » est le simple constat que les comportements du passé ont des conséquences à long terme, alors effectivement l’expression est légitime. Nous vivons tous dans une société qui s’est nourrie de l’oppression des plus faibles. Allons plus loin… tous les partis politiques ont « profité » de la pratique de l’esclavage, ou de l’oppression plus subtile et tout aussi réelle de certaines minorités ethniques. Y compris de nos jours.
D’ailleurs, ce n’est pas seulement les partis d’extrême droite qui ont profité d’attitudes racistes ou xénophobes. Ce serait trop facile. Réconfortant, mais facile. C’est vrai que cela nous permettrait de croire que ce sont toujours les autres qui sont du « mauvais côté ». Et si nous retraçons les convictions personnelles de nos politiciens, nous retrouverions très vraisemblablement à un moment donné un cas plus ou moins clair de racisme. Et aux États-Unis, cela inclut le parti Démocrate.
Du coup, si nous suivons le raisonnement du « racisme systémique », si nous nous sommes associés, ou avons voté, pour l’un ou l’autre des principaux partis politiques, nous avons profité ou pire participé, à cette oppression. Indirectement peut-être, mais quand-même… Le raisonnement du « racisme systémique » n’est que la partie apparente de l’iceberg.

Car si nous devions regarder à la manière dont les sociétés occidentales se sont construites, si nous voulions radicalement dénoncer les injustices et les oppressions, que devrions-nous dire ?
Que la France c’est construite sur la répression de certaines populations religieuses, comme les catholiques de Vendée à la fin du 18e siècle. Si nous sommes français, nous sommes au bénéfice de cet épisode tragique de l’histoire française. Tout comme nous sommes au bénéfice de l’oppression des populations protestantes entre les 16e et 18e siècles. Des répressions ont servit à assurer l’idéal de centralisation qui deviendra petit à petit l’un des traits socio-politiques caractéristiques de la République.
Que l’économie actuelle de la France « profite » de manière assez avantageuse de situations d’injustices, notamment envers les étudiants, parfois encore de nos jours dans des situations de pauvreté ignorées. Et nous en « profitons ».
De la même manière que nous profitons de l’abus économique évident dans les pratiques de certaines entreprises. Lorsque nous achetons des vêtements fabriqués par des travailleurs payés, littéralement, « une misère »… ne profitons-nous pas non plus de cette pratique abusive. De la même manière aussi que nous profitons de certaines pratiques commerciales un peu limite dès que nous achetons… quoi ? Des vêtements, mais aussi des chaussures de marques, etc.
Allons plus loin encore. Si nous avons un jour voté pour une mouvement politique qui a systématiquement organisé la persécution et l’oppression de ses opposants, n’en sommes-nous pas aussi coupables ? Dans ce cas, faudrait-il par exemple parler de « l’oppression systémique » du communisme ? Possible. Faudrait-il dire que nous aurions profité, soutenu, encouragé, l’oppression de millions de personnes.
Si nous avons un jour acheté un téléphone portable, un ordinateur, une voiture électrique, ou même des panneaux solaires, nous avons profité d’une extraction de minéraux rares qui non seulement détruisent une partie de l’écosystème, mais affectent aussi les populations locales dans lesquelles ce minage est effectué.
Et même… n’avons-nous pas bénéficié d’un système qui organise le meurtre de milliers de personnes humaines qui n’ont jamais eu l’occasion de voir le soleil ? L’avortement n’est pas qu’une question éthique. C’est aussi un problème profondément social dont la société bénéficie activement.
Ne profitons-nous pas non plus d’une société dont l’ethos, dont l »économie, dont les valeurs, contribuent a l’éradication de certaines espèces animales ?
N’avons-nous pas tous profité d’un mal commis à d’autres personnes ?

A ce stade, je devrais m’arrêter avant qu’il ne soit trop tard. Trop tard pour ne pas entendre dire que je vais trop loin, qu’il n’y a rien de comparable entre l’esclavage systématisé des peuples africains et la situation économique tragique des étudiants d’Aix-en-Provence. Loin de moi l’idée de sous-entendre que c’est le cas.
Le raisonnement, si ce n’est le sérieux des conséquences, est cependant le même. La société française a profité. Et donc nous avons profité. Que nous le voulions ou non.
Faut-il alors parler de « mal systémique » ? Oui et non. Dans un sens, c’est bien le cas. Il y a eu des cas où la société a organisé sa croissance grâce à certaines oppressions, y compris religieuses et économiques. D’un autre côté, il ne faudrait pas que la dimension « systémique », c’est à dire organisée et institutionnalisée fasse disparaître la responsabilité des individus et des groupes. Ce serait là aussi trop facile…. et très « abstrait ».
Alors que faut-il dire ? Vers quoi ce raisonnement nous conduit-il ? Si nous le suivons jusqu’au bout, que personne n’est innocent. Tout le monde profit de l’iniquité, de l’oppression, de l’esclavage. Cela nous conduit aussi à conclure qu’aucune société humaine n’est innocente.
Je pense qu’en fait l’argument du « péché systémique » ne va même pas assez loin car il n’est pas assez radical. Il nous pousse à identifier le vrai coupable, que ce soit une personne, un partie politique ou un autre « groupe ». Il nous pousse aussi à retracer les origines de l’injustice. Bien sûr, si nous voulons faire cela, faisons-le… mais totalement. Faisons-le vraiment.
Et que trouverons-nous ? Que quelles que soient les bonnes volontés, l’être humain tombe régulièrement dans des pratiques injustes et meurtrières. Et même que ce sera toujours le cas. L’être humain est coupable de se détruire lui-même. C’est une réalité. Et pour le faire, il utilise tout : Le gouvernement, parfois oppressif. L’argent, toujours instrumentalisé. L’appartenance ethnique, idolâtrée. Et je pourrais en ajouter.
Si les sociétés humaines ont une tendance au « mal systémique », c’est parce que l’être humain a par nature tendance au mal. Il a une inclination au mal. C’est ce que la Bible affirme de manière claire et radicale : que tous ont péché et sont enclins au mal.
Quel espoir cela nous laisse-t-il ? Aucun.
Si toutes les oppressions et tous les « maux » de nos sociétés, y compris ceux qui s’enracinent dans les 400, ou même les 2000 ans passés, doivent être redressées avant que nous puissions goûter une quelconque espérance… nous n’en avons pas. Et c’est bien sûr le cas. Pour une justice purement humaine, le mal doit être réparé. Payé. Et c’est pour cela que si nous attendons une réparation de toutes les injustices de l’histoire humaine, nous n’aurons jamais l’espérance d’avancer.
Bien sûr, nous essayons de promouvoir une vraie justice. Lorsqu’un mal est commis, comme la mort de George Floyd, la justice doit s’appliquer. L’officier de police Derek Chauvin a été arrêté et inculpé. Et c’était nécessaire. Nous essayons de vivre la justice. Mais une oppression nous rattrapera toujours.
C’est aussi pour cela que le Christ de la Bible est la seule espérance.
Christ : Dieu fait homme. Pas un Dieu qui avait l’apparence d’un homme. Pas un homme qui était inspiré par Dieu. Non. Dieu fait homme. Étant homme, il a connu l’oppression. Il a connu les injustices, et même en luttant contre les injustices, il n’a jamais commis d’injustices comme nous avons tendance à le faire.
La Bible dit que c’est lui, le « vrai Dieu et vrai homme », le « totalement Dieu et totalement homme », qui a porté nos fautes et nos péchés. C’est lui qui est la porte d’entrée vers la réconciliation avec Dieu, et avec les autres. C’est parce qu’il est réconciliation avec Dieu, qu’il sera pour nous la seule porte vers la réconciliation avec les autres.
Vrai homme, Christ demeure le Dieu éternel. Ce que Christ porte, les fautes dont il est chargé, traversent le temps. Le passé, mais aussi le futur, sont inclus dans ce que Christ a accomplit. Il porte l’esclavage du passé, du présent, et du futur. C’est ma seule espérance. Je peux vivre réconcilié avec un frère dont le peuple a été opprimé parce que Christ a tout porté et que je veux maintenant vivre de sa vie. Nous voulons tous les deux vivre de la vie de Christ. C’est la seule espérance.
Cette espérance est exigeante parce qu’elle demande que je suive radicalement celui qui a été parfait et qui a dénoncé le mal et les hypocrisie de son temps. Loin de nous décharger de la responsabilité de mener une vie juste et généreuse, l’espérance trouvée en Christ libère ma volonté de faire le bien et de poursuivre une vie juste.
Mais cette espérance est exigeante parce qu’elle demande aussi que je désespère de toute œuvre humaine. L’espérance en Christ demande que je ne mette pas mon espoir en autre chose.
Non seulement c’est la seule espérance, mais c’est une espérance systémique : organisée, « institutionnelle », visible. C’est une espérance organisée par Christ qui rassemble un peuple. C’est l’espérance que le peuple de Christ doit pleinement vivre.
Cela veut-il que cette communauté, témoin d’une « espérance systémique » est toujours une communauté où la justice se vit ? Malheureusement non. Mais ceux qui croient en Christ veulent croire que cette espérance n’est pas éteinte par nos imperfections. Malgré les bénéfices, les injustices, les privilèges ; en face de tous les militantismes, les plus acceptables ou les moins acceptables, la communauté du Ressuscité peut vivre une espérance radicale. Une espérance systémique.
Et un jour, cette espérance prendra fin.
Parce qu’un jour, tout mal sera aboli.
Ce jour-là, il y aura une communion totale entre Dieu et son peuple… de toutes tribus et de toutes langues. Il y aura une communion de paix et de justice, d’amour et de bonté entre Dieu et son peuple, ainsi qu’entre les personnes qui formeront ce peuple. C’est la vision joyeuse et glorieuse du livre de l’Apocalypse (21.1-4) :
« Alors je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre. Le premier ciel et la première terre ont disparu, et il n’y a plus de mer.
Et je vis la ville sainte, la nouvelle Jérusalem, qui descendait des cieux, envoyée par Dieu, prête comme une épouse qui s’est faite belle pour son mari.
J’entendis une voix forte qui venait du trône et disait : « Voici, la demeure de Dieu est parmi les êtres humains ! Il demeurera avec eux et ils seront ses peuples. Dieu lui-même sera avec eux, il sera leur Dieu.
Il essuiera toute larme de leurs yeux. Il n’y aura plus de mort, il n’y aura plus ni deuil, ni lamentations, ni douleur. En effet, les choses anciennes ont disparu. »
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Yannick Imbert est professeur d’apologétique à la Faculté Jean Calvin à Aix-en-Provence.
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