Comment: Edge of Tomorrow

– par Denis Haack

Cet article est une traduction d’une publication de Ransom Fellowship.

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L’une des raisons pour lesquelles la science-fiction est un genre cinématographique qui a un tel potentiel pour façonner l’imagination des spectateurs est qu’elle peut explorer des mystères qui sont normalement hors de portée de l’ordinaire. Ceux qui ont tendance à dédaigner la science-fiction en révèlent plus sur leurs préjugés que sur leur discernement littéraire ou intellectuel.

Il est possible pour les personnages de spéculer sur la nature du temps en prenant un café le matin, par exemple, mais il est difficile de transformer le temps lui-même en sujet du drame. Les flashbacks, les flash forward et autres techniques de ce type peuvent donner l’impression de jouer avec le temps, mais au final, le spectateur peut trier la ligne de temps de l’histoire, toujours située dans un temps chronologique normal.

Edge of Tomorrow, qui met en vedette Tom Cruise, joue en fait avec la nature même du temps. La Terre est envahie par un extraterrestre qui apprend constamment, en redémarrant un jour particulier pour tirer parti de ce qu’il y a appris. Il ne peut jamais être vaincu, car il peut toujours remporter chaque bataille avec les connaissances nécessaires pour être victorieux. Mais l’inattendu se produit alors : un soldat humain ordinaire se glisse par inadvertance dans la boucle temporelle de l’extraterrestre. Il peut lui aussi apprendre de sa défaite, puis « redémarrer » le même jour, en fonction de ce qu’il a apprit. Si vous pensez que ce film est un croisement entre l’apocalypse et Un jour sans fin (1993), vous n’auriez pas tout à fait tort.

Edge of Tomorrow a plusieurs points forts. Les histoires apocalyptiques sont populaires. Il y a de bons acteurs : Emily Blunt (dans le rôle de Rita), Brendan Gleeson (général Brigham) et Bill Paxton (sergent-chef Farell) jouent leurs rôles avec brio. Le premier tiers du film révèle que le réalisateur n’a pas pris les choses trop au sérieux, y compris les scènes et les dialogues qui m’ont fait rire à gorge déployée. Le film a la qualité d’un jeu vidéo passionnant, avec des possibilités infinies de redémarrage et la victoire finale. Et le mystère du temps est séduisant même s’il n’y a pas dans le film d’approche philosophique. Nous vivons dans le temps, nous nous y adaptons en tant que créatures, mais nous aspirons à en être libérés. Nous nous inquiétons de ce que nous en faisons, et nous souhaitons qu’il y ait quelques heures de plus dans notre journée, ou que nous puissions la « redémarrer » et cette fois-ci éviter de tout gâcher.

Malheureusement, en tant que film, Edge of Tomorrow est un échec. Il y a tout simplement trop de choses si peu plausibles qu’il m’est devenu difficile d’adhérer à l’intrigue. Cruise, dans le rôle du Major Cage, a une coupe de cheveux mal soignée qu’aucune unité militaire ne tolérerait. Pire encore, après avoir été tasé par des soldats lors de son arrestation pour avoir refusé l’ordre du général Brigham, il revient à la réalité, allongé sur une pile de sacs de sport au milieu d’une base militaire tentaculaire. Je n’ai jamais été dans l’armée, ni tasé, ni arrêté par la police militaire, mais d’une certaine manière, la fin de Cage ne me semble pas aussi probable. Le Major Cage est un novice en matière de combat. C’est un volontaire en « relations publiques » pour l’armée afin de ne pas avoir à se battre, mais il devient rapidement un guerrier de légende. Les extraterrestres sont difficiles à évoquer sur l’écran, mais celui-ci est tout simplement impossible. Il est capable de redémarrer le temps, mais il est composé de combattants métalliques ressemblant à des calamars, reliés par télépathie à un énorme globe sous-marin qui pulse de la lumière. Il aurait été bien mieux de ne rien montrer du tout. Et le bon dénouement du film n’est pas que la race humaine soit sauvée (par Cruise/Cage, bien sûr) mais qu’il soit maintenant libre d’être avec Rita.

Alors, vous vous demandez peut-être, pourquoi écrire autant sur un film que je ne recommande pas vraiment ? La raison est que je crois que les mystères du temps réel sont l’un de ce que Charles Taylor appelle une « pression croisée » pour notre époque sécularisée. Lorsque la position par défaut est de trouver tout le sens, la moralité et l’accomplissement dans une vision du monde qui ignore l’existence de Dieu, de tels mystères ont tendance à hanter les êtres humains. On trouve même alors ce « soupçon chuchoté » qu’il y a peut-être une légère possibilité que la transcendance soit réelle. Ce que nous croyons impossible et invraisemblable pourrait en fait être vrai.

La difficulté, d’un point de vue chrétien, c’est qu’à une époque où notre culture a besoin d’explorer de telles choses, une grande partie de l’Eglise est incapable d’entrer dans la conversation. La raison principale, me semble-t-il, est que nous avons tendance à penser à tort à Dieu. Nous le considérons comme un être distinct, que nous connaissons comme étant esprit, vérité et justice absolus, éternité même. Notre difficulté est que nous imaginons que nous avons une idée de qui est Dieu parce que nous interagissons avec d’autres êtres donc nous sommes familiers. Dieu est tout simplement plus grand que tous les autres êtres – en fait, il est le plus grand de tous. Cependant, comme le souligne David Bentley Hart dans The Experience of God, cette imagination est plus proche de la notion grecque ancienne de démiurge que de l’idée biblique de Dieu. Nous n’en avons pas l’intention, mais notre conception de Dieu est tout simplement trop limitée.

« Dieu est éternel », insiste Hart, « non pas dans le sens qu’il possède une durée illimitée, mais dans le sens qu’il transcende le temps lui-même. Le temps est la mesure de la finitude, du changement, du passage de la potentialité à l’actualité. Dieu, cependant, étant un être réel infini, est nécessairement ce que le sikhisme appelle l’Akhal Purukh, l’Unique au-delà du temps, comprenant tous les temps dans son « maintenant » éternel ; toutes les choses lui sont présentes éternellement dans un simple acte de connaissance parfaite et immédiate » (p. 136). Comme Dieu l’a dit à Moïse, il est le « Je suis ». Notre erreur est que nous finissons par situer l’infinité de Dieu dans le flux du temps que nous connaissons et expérimentons. Ainsi, par exemple, nous supposons que des événements séparés dans le temps doivent être simultanés avec Dieu. Mais, selon Hart, ils ne sont « pas vraiment « simultanés » avec Dieu du tout – il n’est pas dans le temps. » (p. 137). Vivre les événements comme simultanés, c’est les vivre dans le temps, juste en même temps. Mais Dieu transcende tout à fait le temps. Ou bien considérez la notion de choix, comme la décision de Dieu de créer au début. Nous faisons l’expérience de la liberté de choisir comme un événement dans le flux du temps, mais nous ne devons pas traduire cela en Dieu. « Sa liberté », dit Hart, peut être comprise comme consistant non pas en une décision temporelle qui dépasse un temps antérieur, mais en la liberté infinie avec laquelle il se manifeste dans la création qu’il veut de toute éternité » (p. 139).

Le temps est un signal de transcendance

Que cela soit difficile à comprendre ne devrait pas nous surprendre, car nous sommes des créatures finies qui parlent d’un Dieu infini. Le fait que nous ne soyons pas familiers avec de telles notions devrait suggérer que notre façon de penser à Dieu est peut-être devenue si simpliste qu’elle est indigne de la croyance, sans parler de l’indignité de Dieu. Et l’infinité de Dieu suggère que nous pourrions avoir des raisons de croire que le christianisme fournit un compte rendu singulièrement satisfaisant de la réalité et de ses mystères – si satisfaisant qu’il stupéfie l’imagination.

Le temps et les mystères qu’il présente aux créatures finies sont en effet des signaux ou des indices de transcendance, et ils apparaîtront donc naturellement dans les histoires que nous racontons et qui tentent de donner un sens à la vie et à la réalité. Certaines de ces histoires seront meilleures que d’autres, mais le sujet sera toujours un excellent point de départ pour entamer une conversation au sujet de ces choses qui comptent le plus.

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Edge of Tomorrow
Directeur : Doug Limon
Sortie : 2014.
Durée : 113 min
PG-13

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