Au milieu des ruines, une rose

– par Y. Imbert

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L’art, c’est le beau. Bien. Mais c’est bigrement rapide de dire les choses ainsi. Un : indéniable observation que l’influence grecque sur la conception classique de la beauté. Attrait des yeux et harmonie des formes feraient la beauté. Bigrement rapide. Deux : décidément le terme beauté est peu fréquent dans l’Écriture. Et voilà, avec ces deux constats, la beauté disqualifiée de sa fondamentale place dans l’esthétique. Le rejet de la beauté comme centre de l’art, aura été un pas facile à faire. Forcément : les chrétiens ne doivent-ils pas plutôt être animés d’un amour de la vérité ? Vrai. Mais pas vraiment. Cela dépend de votre définition de la beauté. Beaucoup la congédient à cause de sa connotation grecque. Mais ce n’est pas une fatalité. Faudrait-il plutôt poser la question de la place de la beauté dans l’Écriture ? Et que découvrons-nous alors ?

La beauté y est bien présente. Le langage biblique associe sciemment la beauté à ce qui est honoré, splendide, et glorieux. La Bible n’oublie pas que la « beauté » est, entre autre, visible, au sens le plus commun de ce qui est beau. Ainsi Babylone est « l’ornement des royaumes » (Es 13.19). L’Écriture associe plus volontiers la beauté à la gloire, à l’embellissement ainsi qu’aux belles actions de Dieu en faveur de son peuple. C’est ainsi que Christ est la beauté (gloire) de Dieu (Phil 2.11), que les actes de Dieu envers son peuple peuvent être qualifiés de « beaux », et que l’épouse de Christ – le peuple de Dieu – est « belle ». Plus encore, l’Écriture pare la beauté de la marque de l’acte créateur : car ce qui est beau est ce qui est convenable. Conséquence : la sagesse ne convient pas au fou, par contre la louange est belle pour Dieu parce qu’elle convient à qui il est (Ps 135.3).

La beauté n’est ainsi pas d’abord ce qui est vu, mais ce qui existe sous le regard du Créateur. La beauté c’est « ce qui convient à ». Dieu est suprêmement beau car il est le seul qui se convienne – se suffise – à lui-même. Créateur, il est révélateur de la résonnante beauté de la création ; Rédempteur, il est porteur de la sanglante beauté de la rédemption ; Sanctificateur, il est acteur de la métamorphosante beauté de la sanctification.

Quant à nous, nous pouvons vivre une vie belle en reconnaissant que nous avons besoin de lui. C’est cela qui nous correspond, en tant qu’images de Dieu. Notre vie est esthétique lorsque nous redécouvrons cette dépendant de Dieu, de Christ, et de l’Esprit. Nous sommes rachetés par la beauté incarnée, Christ sur la croix. Nous sommes « embellis » par l’action de l’Esprit, de nouveau « convenables à » ce que nous devions être, et que nous serons dans le royaume éternel. La vie esthétique des disciples de Christ est pétrie des vertus chrétiennes. La justice, l’amour, et le pardon font de la vie du chrétien, cristallisée dans l’Église, un argument esthétique en faveur de la vérité de l’Écriture et de l’existence de Dieu. La vie chrétienne entière est guidée par la beauté de Dieu, dont la radieuse restauration est incarnée en Christ.

Pour le chrétien, l’art est dirigé par la beauté, par ce qui est approprié pour ce monde qui appartient à Dieu, avec tout ce qu’il renferme (Ps 24.1).

Le chrétien articule, dans son art, une vision de la création, rébellion, rédemption, en vue de la glorification. La vocation de l’art est, pour le chrétien, celle d’un écho à Éden en vue de la nouvelle Jérusalem. Création. Émergeant de la création, nous voici porteur d’image de Dieu. L’art du chrétien crie aussi cette émergence à partir de la main créative du Créateur, traçant les traits du monde. Rébellion. Tension de la beauté que nous vivons dans un monde brisé : images de Dieu débordant de violence. Rédemption. Lavés dans la couleur du sang, cœur de lave délavé par les souffrances : ecce homo, le disciple de Jésus produit un art fidèle au monde de Dieu en étant témoin de l’espérance de Christ dans un monde créé mais brisé. Un art qui ne dépeindrait que le beau, l’agréable et le paisible, ne serait pas complet. Glorification. Pèlerins esthétique vers le royaume, nous sommes engagé à composer notre vocation en étant témoins du Christ dont le salut est la beauté même.

Avec les yeux de l’Esprit, perçant la mesure de douleur que le péché propage dans le monde, au milieu des ruines, nous découvrons une rose, celle qui poussa au pied de la croix, et qui fleurit dans le royaume. Notre vie chrétienne est une esthétique de Dieu : qu’elle attire encore nos contemporains vers la beauté de Dieu.

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Yannick Imbert est professeur d’apologétique à la Faculté Jean Calvin à Aix-en-Provence.

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