– par Vincent, inspiré par le colloque Foi & Imagination organisé par l’ISTA en mars 2022.
Pour certains, Dieu est un ami imaginaire. Pour d’autres, peut-être en réaction, la foi doit se distinguer le plus possible de l’imagination. A mon sens, les deux avis commettent la même erreur de considérer l’imagination comme quelque chose de vaporeux, d’incertain, ou de paresseux. Quelque chose de radicalement extérieur, si ce n’est opposé à la raison.
Au contraire, l’imagination dont je parle ici en lien avec la foi est une faculté vivifiante de la raison : une créativité qui permet de faire des hypothèses*, une ouverture qui laisse cours à l’intuition, un engagement de la capacité de visualisation physique, ou de symbolisme pour la pensée abstraite, un lieu d’exploration des chemins actuellement inaccessibles. Au lieu de nous emmener vers de vains fantasmes, cette imagination nous mène au concret du réel. Et même à la réalité cachée, discrète mais tangible, du Royaume.
Un retour plutôt qu’une fuite
J.R.R. Tolkien, l’auteur du Seigneur des Anneaux et notamment d’un essai sur la nature, l’origine et la fonction des contes de fées, refusait de faire de ses oeuvres des allégories où chaque élément imaginaire aurait une correspondance directe dans la Bible ou dans l’histoire. Cette approche lui semblait trop « plate » (fade et brutale), imposant froidement et de façon à peine détournée le message de Dieu à une raison humaine humiliée. Tolkien, comme le Dieu qui se révèle dans la Bible à mon avis, préférait situer l’humain en participant du Salut plutôt qu’en pur exécutant ou spectateur.
Sa démarche créative et ses concepts inventés ouvrent ainsi un espace qui convoque, éclaire et stimule la raison humaine, capable d’imaginer, de penser au-delà de sa réalité immédiate, permettant ainsi la rencontre d’un Dieu infini et parfait avec sa création limitée et touchée par le péché.
L’artiste est celui qui fait apparaître les choses invisibles, plus originelles, par des chemins impossibles.
Arnaud Montoux, Professeur de Théologie à l’ICP
A ceux qui accusaient les fantaisies littéraires de Tolkien d’être une « fuite de la réalité », il répondait qu’il existait deux types de fuites : celle du déserteur et celle du prisonnier. La première est un manquement lâche et un éloignement de sa patrie, la seconde un devoir héroïque qui rapproche de sa patrie. L’humain n’ayant quasiment pas vécu la réalité de l’Eden, elle a été replacée devant lui comme perspective de ce qu’il doit vivre et espérer, un pays natal dont il est temporairement privé, retenu prisonnier par son propre péché. A défaut de pouvoir vivre pleinement cet Eden retrouvé en Christ, l’humain est ainsi appelé à le vivre par la foi, à penser, méditer et se projeter d’ors et déjà dans cet avenir réconcilié.
Ainsi, si par exemple dans les oeuvres de Tolkien les humains peuvent parfois communiquer avec les animaux (comme c’est typique dans les contes de Fées), ce n’est pas le symptôme d’une confusion entre l’humain et l’animal, mais bien plutôt le signe annonciateur d’un rétablissement de la communion perdue dans l’ensemble de la Création.
Une approche intime de la Révélation
De par son aspect créatif, l’imagination permet de participer à la révélation. Elle nous permet de voir l’Autre, Dieu, comme un sujet dont nous sommes l’objet. Autrement dit, elle permet de se décentrer de soi pour se recentrer sur le Créateur et adopter sa perspective.
L’imagination n’est pas un outil exhaustif de compréhension de la révélation, mais c’est un guide important. Pour approfondir notre engagement dans chaque passage de la Bible que nous interprétons ou chaque prière, nous pouvons par exemple imaginer, dans le détail, les scènes et les éléments évoqués – à la manière d’une « composition de lieu » d’Ignace de Loyola – pour mieux les méditer en s’y confrontant.
Entrer dans les détails physiques de la scène biblique, c’est la rendre contemporaine, c’est l’enraciner dans le réel du disciple qui cherche à l’appréhender. Entrer dans les détails physiques de la prière métaphysique, c’est sentir la laideur du péché, goûter les délices de la sainteté, ressentir la chaleur de l’amour de Dieu et la légèreté de son joug.
Un exercice de la grâce
L’imagination, comme l’art, permet de se libérer de l’impératif d’utilité que nous impose discrètement notre époque : « A quoi ça sert ? » – Répondons joyeusement : A rien ! La vie humaine n’est pas une usine de production qui doit tourner sans cesse.
Plutôt que de se demander « Que dois-je faire ? », ou « A quoi dois-je me rendre utile ? », l’éthique biblique invite plutôt à se demander « Qui dois-je être ? ». Car nous sommes, d’après Jésus, des « serviteurs inutiles » : nous ne pouvons rien faire gagner (ni perdre) à Dieu. Nous sommes l’enjeu de son action, plus qu’il n’est l’enjeu de nos actions.
A « Que dois-je faire ? », une liste de tâches peut très bien répondre, et évite toute réflexion, toute méditation, toute imagination. A « Qui dois-je être ? », les récits sont de bien meilleures réponses, et ils invitent l’imagination créative. La foi chrétienne n’est pas un ensemble de normes, c’est l’histoire du chrétien dans l’Histoire de Dieu, et plus spécifiquement l’histoire du chrétien d’après l’Histoire de Dieu.
Lorsque Dieu, dans l’Ancien Testament, appelle des prophètes, des prêtres et des rois qui préfigurent partiellement le Messie à venir, lorsque Jésus nous invite à suivre son exemple par des paraboles comme celle du Bon Samaritain, et lorsque le Saint Esprit nous ramène à Jésus et nous rappelle ses paroles pour faire de nous des « post-figurations », des reflets du Christ, c’est tout un système d’analogie, d’échos, de reflets miroitants, une recherche d’harmonie dynamique entre Jésus et nous.
En ce sens, la foi est un jeu de parallèles, qui combine fidélité et créativité, obéissance et liberté, tradition et improvisation. Il ne s’agit pas de faire exactement ce que Jésus a fait, mais que nos actes aient le même sens que les siens – or son contexte et le nôtre diffèrent grandement. Nous devons, par l’imagination, chercher des rimes de sens plutôt que des rimes de son, nous préoccuper du fond avant que de la forme.
Le travail créatif réalisé dans le cadre de la série The Chosen témoigne du même travail conjoint de la raison et de l’imagination. Plutôt que de se cantonner aux seuls épisodes relatés par les Evangiles, les scénaristes ont choisi de rendre compte des mêmes enseignements dans des formes et des contextes différents, afin que même les plus grands connaisseurs du Nouveau Testament puisse (re)découvrir Jésus et son oeuvre d’un oeil nouveau.
D’ailleurs, si vous n’avez pas encore visionné cette série, je vous invite à le faire.
A bon lecteur, salut !
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* Les hypothèses sont nécessaires pour deux des trois étapes de la boucle récursive du raisonnement scientifique : l’induction (généralisation) et l’abduction (supposition d’un lien) permettent de formuler des hypothèses. La troisième étape est la déduction, qui intervient lors de la vérification de l’hypothèse.